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Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)   Leave a comment

 

Une biographie

Persistance du Sacré

L’idéal : l’éternité du Bonheur par la construction de l’ultrahumain

La vie de Teilhard est intimement liée à son oeuvre, même si cette dernière fut considérée de son vivant comme étant hétérodoxe par le Vatican.

1. La vie et l’oeuvre

Pierre Teilhard de Chardin est issu d’une famille catholique traditionnelle, monarchiste.
Entré chez les Jésuites en 1899 il s’intéresse très tôt à la géologie. Après une thèse sur les mammifères de l’Eocène supérieur (1922) il enseigne à l’Institut catholique de Paris et participe à de nombreuses expéditions anthropologiques en Orient et en Extrême-Orient de 1928 à 1938 (croisière jaune Citroën 1931-1932).
Teilhard voudrait réconcilier le catholicisme avec la science et se donne la mission de réaliser une synthèse évolutionniste, ce qui révulse la hiérarchie romaine. Le Vatican lui interdit toute publication autre que purement scientifique.
A Pékin pendant la deuxième guerre mondiale, de 1939 à 1946, il séjourne en France de 1946 à 1951 en espérant avoir de Rome l’autorisation de présenter sa candidature au Collège de France, sans résultat positif.
Il se réfugie à New York où il décède en 1955.

Ses oeuvres philosophiques sont alors publiées avec un succès considérable. En 1962, année du Concile Vatican II, le Saint-Office lance un appel exhortant les responsables de l’enseignement religieux "à défendre les esprits, particulièrement ceux des jeunes, contre les dangers des ouvrages de P. Teilhard de Chardin et de ses disciples". En 1981, à l’occasion du centenaire de sa naissance, le Vatican fait savoir que Teilhard n’est plus considéré comme ayant une pensée hétérodoxe.
L’essentiel de l’oeuvre philosophique a été publié par les Editions du Seuil: Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, 13 vol., 1955-1976. L’ensemble de l’oeuvre comprend une quarantaine de volumes.

2. La « théosophie » de Chardin : du statisme juridique libéral au dynamisme holistique de la cosmogénèse

2.1. Contre l’ordre juridique individualiste

L’ordre juridique issu de la Révolution de 1789 repose sur une conception individualiste de l’Homme. Le système juridique libéral a pour objet de protéger l’individu "contre tout envahissement extérieur" (Pierre Teilhard de Chardin, L’énergie humaine, Le Seuil, Paris, 1955, p.132).
L’ordre juridique libéral est statique. Or le vivant est force et changement, différence et complémentarité, énergie cosmique insérée dans l’Etre total de l’Univers.
L’ordre juridique moderne se caractérise par son individualisme et son statisme alors que l’Homme appartient à l’Univers et que l’Univers est en Evolution. Le droit moderne est fondamentalement acosmique et donc asocial.

2.2. La nature cosmique de l’Homme

L’Homme est un être cosmique et non pas "une cire vierge" sur laquelle l’on peut tout écrire et n’importe quoi. Ses lignes de croissance sont biologiquement définies.La science juridique ne peut être séparée de toutes les autres sciences.
En tant que personne, c’est à dire en tant que tout, membre du Tout cosmique, l’être humain a le devoir fondamental de se perfectionner, de se personnaliser dans le sens de l’Evolution qui porte la Noosphère vers le Point Oméga, c’est à dire de l’origine spirituelle à l’aboutissement spirituel.
C’est l’évolution qui permet de distinguer le Juste de l’Injuste, de dire ce qui est véritablement Droit.

2.3. La Loi de l’Evolution

Pour Teilhard l’Univers n’est pas un ordre mais un processus. Rien n’est immuable dans l’univers, "La nature est devenir". La "dérive universelle" est au coeur du Temps et de l’Espace. Tout évolue, se transforme et se complexifie dans un processus cosmogénétique total.
Le processus est Hominisation, évolution du phénomène humain du préhumain à l’ultrahumain, par spiritualisation de la Matière. La Loi de l’Evolution c’est la loi profonde de la montée de l’énergie cosmique qui culmine dans l’énergie humaine.
La Loi de l’Evolution c’est la Loi de Progrès dont l’expression la plus haute est la Loi générale et suprême de la Moralité :"Tout tenter pour savoir et pouvoir toujours plus", c’est la Morale de l’Evolution cosmogénésique.

2.4. La Morale de l’Evolution cosmogénésique

L’objectif est le Point Oméga, la fusion de tout dans le Tout. Le moyen est l’Hominisation par la personnalisation.
La personnalisation ne peut résulter que du dynamisme de la socialisation, qui est force, et non du statisme asocial du droit moderne libéral. Entre la force socialisante et le droit libéral c’est la force qui prime moralement le droit. Plus précisément, s’il y a une force du droit, c’est la force du droit de la force.
Le Juste, c’est à dire le Droit, est de permettre le plein développement de la force de socialisation. Est injuste, est péché, tout ce qui limite la force socialisante et donc personnalisante. Le droit moderne, qui est injuste, disparaîtra.

2.5. La disparition du droit moderne

Toutes les lois morales et juridiques du monde moderne seront absorbées par l’Evolution cosmogénétique. Le droit libéral sera remplacé par l’"Amour cosmique", l’amour biologique évolutif, "l’énergie psychique universelle". Par une socialisation progressive et croissante l’organique se substitue au juridique.
Par le développement et la montée de la spiritualisation l’ajustement de l’Un au Tout devient automatique parce que nécessaire. Pour qu’il en soit ainsi il suffit de laisser jouer "la nature essentiellement biologique des lois morales et sociales" qui universalise, "organicise" et automatise la Responsabilité.
Voilà qui est Bien et Beau. Mais qui donc est responsable de la Responsabilité ? Teilhard de Chardin nous dit que le moraliste et le juriste de la modernité seront remplacés par l’Ingénieur de l’Energétique, "qui devient le technicien et l’ingénieur des énergies spirituelles du monde" …

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Francisco de Vitoria (v. 1480-1546)   Leave a comment

 

§ 1 – La vie et l’oeuvre

Né vers 1480 dans la ville de Vitoria, Francisco de Vitoria est un moine catholique dominicain (ordre des prêcheurs, O.P., fondé par Domingo de Guzman, v. 1170-1221, ayant pour mission de lutter idéologiquement contre les hérésies).
Il fait ses études à Paris, puis y devient Maître avant de rejoindre l’Université de Salamanque, la plus célèbre de l’époque.
On peut dire qu’il est disciple d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin.

Il est aujourd’hui considéré comme étant l’un des fondateurs du droit international.
Son ouvrage principal en la matière est le Relectiones morales, recueil de cours faits à Salamanque (1696).

§ 2 – La philosophie du droit de Francisco Vitoria : l’Etat et le droit international

A – L’Etat

Selon Vitoria l’Etat est une "communauté qui est son propre Tout par elle-même", qui est indépendante physiquement (géographiquement), politiquement et juridiquement.

L’Etat est une communauté qui se suffit à elle-même :
– quant à son territoire,
– quant à sa population,
– quant à son organisation et à son gouvernement.

Cependant l’indépendance de l’Etat n’est pas absolue car l’autorité de l’Etat se heurte d’une part à l’existence de la morale et du droit (B) et d’autre part à l’existence d’une communauté internationale (C).

B – La morale et le droit

Vitoria ne distingue pas clairement la morale du droit et notamment le droit naturel du droit positif.
Il affirme cependant que le droit international, le Jus gentium, est constitué par les règles que "la raison naturelle a établies entre les Nations".

Le droit des gens est obligatoire car il tire sa force du droit naturel dont il découle.
Ces règles résultent du consentement de la majeure partie de l’Univers pour le bien de tous, et elles s’imposent à la minorité.
Parmi ces règles l’on peut citer : l’inviolabilité des ambassadeurs, la communauté de la mer, le fait que les prisonniers de guerre sont des esclaves, etc.

En application de ces règles l’Etat ne peut faire que des guerres justes.
La guerre est juste lorsqu’il s’agit de défendre les droits de ses ressortissants et le "bien commun de l’Univers" qui consiste essentiellement à faire du commerce international.
L’on peut donc conquérir par les armes les Etats qui refusent de s’ouvrir à ce commerce international.
L’Etat fort peut d’autre part agir pour le compte d’un Etat faible qui ne peut défendre lui-même ses propres droits.
Tout cela résulte du fait qu’il existe une Communauté internationale qu’il faut protéger.

C – La Communauté internationale

En effet dans l’état de nature primitif tous les biens étaient communs.
Lorsque les Etats se sont formés ils ont dû respecter les droits égaux que les individus avaient sur toute chose. Or le droit fondamental des individus est d’entretenir des relations commerciales.
La Communauté internationale est donc ouverte aux échanges.

Les Etats se doivent donc de respecter certains droits :
– la liberté de la mer et des fleuves,
– le droit d’aller et venir,
– le droit d’acquérir une nationalité,
– le droit de faire du commerce.

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Edward O. Wilson (1929 – )   Leave a comment

Le fondateur de la sociobiologie

La sociobiologie est née aux Etats-Unis d’Amérique en 1975 lorsque Edward O. Wilson, professeur de zoologie à Harvard, publie son ouvrage fondamental "Sociobiology, the new synthesis".

La sociobiologie est née des recherches les plus récentes en éthologie, la science du comportement animal, en écologie et en biologie génétique.

La sociobiologie a pour objet de rechercher les causes et les conséquences de la socialité, de la vie sociale. La sociobiologie s’est beaucoup intéressée aux fourmis, des insectes particulièrement performants, et a constaté que la socialité était un phénomène commun à différents groupes animaux, notamment aux primates donc à l’Homme.

Les sociobiologues pensent que les êtres vivants sont en perpétuelle compétition pour essayer d’améliorer leur situation. Plus précisément, selon Wilson, l’organisme vivant n’existe pas pour lui-même mais pour permettre la reproduction de ses gènes, la transmission de son génotype, son patrimoine génétique, dans les meilleures conditions possibles, quantitatives et qualitatives. L’individu stérile assure le succés de son patrimoine génétique en favorisant la reproduction des individus fertiles de sa parenté (kin selection, théorie de la parentèle, découverte par le britannique W.D. Hamilton en 1964), c’est le fondement de l’altruisme. Et c’est la faculté de reconnaître ses parents génétiques qui permet d’orienter ses relations sexuelles de telle sorte que l’inceste soit évité.

Pour Wilson la "nature humaine" est faite d’un certain nombre de contraintes biologiques, codées génétiquement, qui amènent les différents humains à prendre les mêmes décisions dans un large éventail de contextes. Wilson pense que le moteur du comportement social est l’égoïsme biologique qui permet la conservation de ses propres gènes et/ou de leurs copies, ce qui conduit les individus à s’affronter socialement pour l’acquisition de la dominance – car la dominance sociale, directement liée à l’agressivité, peut se traduire par un grand succés reproductif.

Edward O. Wilson et les sociobiologistes ont été violemment attaqués aux Etats-Unis et en France par les scientifiques environnementalistes marxistes ou proches du marxisme (radical-scientists, le généticien Richard Lewontin (et autres auteurs, Nous ne sommes pas programmés : génétique, hérédité, idéologie, La Découverte, Paris, 1985) et le biologue et géologue Stephen Jay Gould (La Mal-mesure de l’Homme, Ramsay, Paris, 1983 ; La Vie est belle, les surprises de l’évolution, Le Seuil, Paris, 1991) du groupe Science for the People. Pierre Thuillier, Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir, la sociobiologie en question, Editions Complexe, Bruxelles, 1981.). La sociobiologie est accusée d’être une idéologie déterministe, sexiste et raciste.

Selon le sociobiologue Français Pierre Jaisson (La Fourmi et le sociobiologiste, Odile Jacob, Paris, 1993, p.17) la sociobiologie n’est pas une idéologie "mais une discipline scientifique qui regroupe plusieurs théories parfois incompatibles entre elles". Il n’y a pas prédestination mais prédisposition :"la plupart des sociobiologistes considèrent que les aptitudes comportementales des animaux et de l’Homme sont permises par leurs potentialités génétiques" et se développent "sous l’influence du vécu de l’individu". Les différences sexuelles existent mais ces différences ne sont pas des inégalités, "elles participent à la richesse globale de l’espèce". "La sociobiologie humaine s’intéresse aux comportements universels de l’espèce humaine … Il n’y a pas de travaux sociobiologiques sur les comparaisons interethniques (la notion de race est particulièrement floue chez l’Homme)".

Edward O. Wilson, Sociobiology, the new synthesis, Havard University Press, 1975, La Sociobiologie, Le Rocher, Monaco/Paris, Cambridge (USA), 1987 ; On human nature, HUP, 1978, L’Humaine nature. Essai de sociobiologie, Stock, Paris, 1979. Charles Lumsden & Edward Wilson, Genes, Mind and Culture, HUP, 1981 ; Promethean Fire, HUP, 1983, Le Feu de Prométhée, Réflexions sur l’origine de l’esprit, Mazarine, Paris, 1984 ; L’unicité du savoir, de la biologie à l’art, une même connaissance, Robert Laffont, Paris 2000.
Pour certains sociobiologues l’organisme vivant n’est qu’un "véhicule à gènes", Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford, 1976, Le Gène égoïste, Menges, Paris, 1978, Armand Colin , Paris, 1990.

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)   Leave a comment

 

Considéré en France comme étant le père spirituel de la Révolution de 1789, le calviniste Jean-Jacques Rousseau est né huit ans après la mort de l’anglican John Locke, le père du libéralisme politique.
Mais le célèbre Jean-Jacques était-il un libéral "à l’anglaise"? Ni sa vie (La vie et l’oeuvre § 1) ni sa doctrine (La philosophie du droit de Rousseau § 2) ne permettent de le dire totalement.

§ 1. La vie et l’oeuvre

Jean-Jacques Rousseau est né en 1712 à Genève d’une famille française huguenote émigrée en 1540.
Son aïeul Didier Rousseau était un libraire parisien. Ses descendants devinrent à Genève des fabricants de montres et accumulèrent une fortune non négligeable. Cependant celle-ci fut partagée entre dix enfants et le père de Jean-Jacques Rousseau, qui est lui-même horloger, gaspille presque tout son héritage.
Jean-Jacques Rousseau n’est donc pas, comme on le dit encore assez souvent, un fils du peuple mais le fils d’un bourgeois déclassé et aigri.

Sa mère est morte en le mettant au monde. Son père, qui doit quitter Genève après une rixe, le laisse confié, à 10 ans, aux soins d’un pasteur, qui le met en apprentissage chez un greffier puis chez un graveur.
En 1728 il s’enfuit de Genève et est recueilli à Annecy par Mme de Warens qui aurait été un agent secret du Roi de Sardaigne, et qui, après quelques péripéties, en fait son amant.

En 1741 Jean-Jacques Rousseau vient à Paris où Denis Diderot le fera collaborer à l’Encyclopédie.
En 1746 il "rencontre" une servante illettrée, Thérèse Levasseur, dont il aura cinq enfants naturels, qu’il met à l’assistance publique …
En 1749 il écrit son Discours sur les sciences et les arts qui parut en janvier 1751.
Après la représentation de son opéra Le Devin du Village (1752) et son Discours sur 1’0rigine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) il se retire à l’Ermitage (1756) puis à Montmorency (1758) où il écrit la Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), la Nouvelle Héloïse (1761) et deux de ses oeuvres les plus importantes :
Le Contrat social, Principes du droit public (1762)
Emile (1762), sur l’éducation des enfants …

Les Confessions paraîtront après la mort de Rousseau qui survient, en 1778, à Ermenonville.

Pour une biographie plus complète

§ 2. La philosophie du droit de Rousseau : la loi résulte de la volonté générale, de la souveraineté populaire

Rousseau, comme beaucoup d’autres théoriciens bourgeois protestants avant lui (Hugo Grotius (1583-1645), Samuel Pufendorf (1632-1694), Christian Wolff (1679-1754), notamment) est un théoricien du droit naturel moderne.
Contrairement à leurs oeuvres, difficilement accessibles, sa théorie de l’état de nature et du contrat social (A/) a surtout le mérite d’être très "lisible", ainsi d’ailleurs que sa théorie de la souveraineté populaire (B/).

A – L’état de nature et le contrat social

"L’homme est né libre, et partout il est dans les fers… . Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question". (Préambule au Contrat social).

Donc, selon Rousseau, comme pour Locke, l’homme est né libre et bon. C’est la société qui l’a corrompu. Les sciences et les arts, dans le Discours sur les sciences et les arts, l’inégalité, dans le Discours sur l’inégalité ont dénaturé l’homme.

Toujours selon notre théoricien calviniste, dans l’état de nature l’homme était parfaitement heureux : "Je vois l’homme se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas. Les seuls biens qu’il connaisse dans l’univers sont la nourriture, une femelle et le repos. Les seuls maux qu’il craigne sont la douleur et la faim, il n’a nul besoin de ses semblables et n’en reconnaît aucun individuellement". L’être humain est alors un "heureux sauvage".

Puis l’homme qui vivait donc isolé et heureux, par des circonstances fortuites, noue des relations avec ses semblables, mais tout en continuant à être indépendant, donc libre.
Cette seconde période de l’état de nature est encore plus heureuse que la première.

C’est par un malheureux "hasard" que l’homme sort de cette seconde période pour entrer dans une période de désordres causés par l’inégalité, la richesse et la misère, les rivalités et les passions.
Ce "hasard" c’est l’invention de la métallurgie et de l’agriculture, qui engendrent la propriété privée.

Pour sortir de cette période de malheurs les hommes doivent alors s’associer pour créer la société civile, l’Etat, de façon à sauvegarder leur liberté primitive et naturelle, tout en assurant leur sécurité.
C’est le contrat social qui permet de passer de la période malheureuse de l’état de nature à la société civile.

Mais comment concevoir une société civile qui assure la sécurité tout en sauvegardant la liberté ?
La conciliation sécurité – liberté résultera du règne de la volonté générale.

B – La loi résulte de la volonté générale

La souveraineté n’appartient pas au plus fort ou à quelques-uns en vertu de quelques privilèges prétendument naturels.
La souveraineté appartient au peuple et est inaliénable et indivisible.
La souveraineté c’est la Volonté générale, qui est dégagée par la majorité et qui est la source de la loi.

Le fondement de la théorie est simple, il repose sur un postulat, à savoir que les hommes sont égaux.
Les hommes étant égaux aucun d’entre eux ne peut se prévaloir de quelque supériorité que ce soit.
La souveraineté ne saurait donc appartenir à aucun d’entre eux en particulier, elle appartient à tous à la fois.

Pour Rousseau le peuple étant souverain chaque citoyen possède une fraction de la souveraineté.
Si le peuple est composé de 10.000 citoyens chaque citoyen possède la 10.000ème partie de la souveraineté. La conséquence est que chaque citoyen doit participer au choix des gouvernants et que la démocratie doit reposer sur le suffrage universel.

Cependant cette démocratie ne sera pas représentative mais directe.
Si le peuple ne peut intervenir lui-même pour délibérer et discuter l’élaboration des lois il doit y avoir au moins un référendum d’acceptation.

Quant aux gouvernants, aux ministres, ils ne sont que les commis (mandat impératif) du peuple, de "simples officiers exerçant en son nom le pouvoir …" (Contrat social, Livre III~ Chape 7).

Dans un tel système de démocratie directe Rousseau ne pense pas que le meilleur gouvernement soit le gouvernement démocratique, c’est-à-dire un gouvernement dans lequel le peuple soit à la fois législatif et exécutif.
La monarchie républicaine, c’est-à-dire le pouvoir exécutif d’un homme dépendant de la souveraineté du peuple (système présidentiel américain), serait un gouvernement possible mais dangereux. En effet l’exécutif étant aux mains d’un seul homme, de commis qu’il doit être par rapport à la vo- lonté générale peut devenir maître et tyrannique.

Voilà pourquoi Rousseau préfère le gouvernement oligarchique, c’est-à-dire le gouvernement de quelques-uns soumis à la volonté générale, à la souveraineté populaire, pour la raison que le peuple aura moins à craindre du gouvernement de plusieurs que du gouvernement d’un seul (par exemple le gouvernement de la Convention avec Robespierre … ?).

Si le système de Rousseau eut un succès théoriquement certain, la bourgeoisie française de 1789 n’entendait pas, cependant, aliéner son pouvoir de fait aux mains du peuple et c’est pourquoi l’abbé défroqué Sieyès élabora une théorie voisine de celle de Rousseau mais jugée beaucoup moins politiquement dangereuse.

La théorie de la souveraineté nationale fut préférée à la théorie de la souveraineté populaire.
En vertu de la théorie de la souveraineté nationale c’est bien le peuple qui est souverain mais le peuple dans son ensemble, pris globalement, ce peuple c’est la Nation, une entité considérée comme étant un être réel distinct des individus la composant.
La Nation étant souveraine a évidemment un droit à l’ exercice de cette souveraineté mais étant une entité ne peut l’exercer directement elle-même.
Le gouvernement sera donc un gouvernement représentatif (pas de mandat impératif). Et les représentants ne seront pas nécessairement élus au suffrage universel qui ne s’impose pas logiquement dans ce système.
C’est ainsi que les membres de l’Assemblée nationale constituante de 1789, non élus eux-mêmes au suffrage universel, introduisirent dans la Constitution de 1791 (décret du 22 décembre 1789) le suffrage restreint et censitaire.

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Georges Scelle (1878-1961).   Leave a comment

Georges Scelle (1878-1961).

§ 1 – La vie et l’oeuvre

Né à Avranches (Manche, France) en 1878 Georges Scelle a fait ses études supérieures à la Faculté de droit de Paris et à l"Ecole libre des sciences politiques".
Après l’agrégation en 1912 il enseigne le droit international et le droit des relations industrielles à la Faculté de droit de Dijon, poste qu’il retrouve après la guerre.
En 1933 Georges Scelle est nommé à Paris où il enseigne le droit international à la Faculté de droit, jusqu’à sa retraite en 1948.
Il a représenté la France dans les organismes internationaux et a participé à des cabinets ministériels.

Son oeuvre comprend essentiellement :
Précis de droit des gens, 2 vol. Paris 1932 et 1934
Règles générales du droit de la Paix, R.C.A.D.I. 1933, IV, pp.331-697
Manuel de droit international public, Paris 1948

§ 2 – La philosophie du droit international de Georges Scelle

La théorie de Léon Duguit a été reprise et développée par Georges Scelle en droit international.
Georges Scelle, comme Léon Duguit, un disciple d’Emile Durkheim, fonde le droit sur la solidarité, la solidarité par similitude et la solidarité par division du travail, qui entraîne les échanges sociaux.

Selon nos auteurs le droit naît des nécessités biologiques, il est secrété par le groupe social parce qu’il est nécessaire à la survie du groupe social. Il est donc "naturel" dans le sens d’ojectif, car il s’agit d’un impératif social traduisant une nécessité vitale.
Ce droit objectif s’oppose au droit positif qui est l’ensemble des règles sociales en vigueur dans un groupe social déterminé, à une époque déterminée.

Le droit positif n’est que la traduction du droit objectif, une traduction plus ou moins fidèle,mais une traduction qui se doit d’être la plus fidèle possible car le respect du droit objectif est la condition fondamentale de la survie du groupe.

Le fondement biologique du droit est applicable au droit international comme au droit interne.
De même que l’Etat n’est qu’un groupement social de superposition la société internationale est la composante de groupes plus restreints. Les groupes sociaux sont composés d’individus ayant des rapports de solidarité.
Il n’existe pas de différences fondamentales entre les groupes sociaux composés d’individus ayant la même nationalité et les groupes sociaux internationaux comprenant des individus de nationalité différente.
Tous les groupements sociaux secrètent leur droit objectif.

La société universelle, la communauté humaine globale, secrète également son droit objectif qui est le droit des "gens", c’est-à-dire le droit des individus, le droit des membres du groupe social mondial.
De même que le droit objectif de la société étatique qui inclut des groupes sociaux plus restreints est supérieur au droit objectif de ces groupes restreints, de même le droit objectif de la société universelle, le droit des "gens" est supérieur au droit objectif des Etats, des groupes sociaux territoriaux.
C’est la loi de la hiérarchie des normes. La norme étatique est subordonnée à la norme internationale. Le droit international est un ordre juridique de superposition.

Certes la société universelle ne comporte pas encore d’organes pouvant constater l’existence du droit objectif et le transformer ainsi en droit positif dont il faudrait assurer l’exécution.
En attendant la formation d’un groupe social universel aussi élaboré que le groupe social étatique ce sont les Etats qui, en vertu de la loi du dédoublement fonctionnel, agissent à la fois pour leur compte et au nom de la société universelle en participant à la formation du droit international, droit positif, et en assurent son exécution.

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Guy de Maupassant (1850-1893)   Leave a comment

Remarquable nouvelliste, et romancier moins apprécié, il meurt de ses excès de vitalité …

1
Un artiste habile en cette partie, un massacreur de génie, M. de Molkte, a répondu aux délégués de la paix les étranges paroles que voici :"La guerre est sainte, d’institution divine ; c’est une des lois sacrées du monde ; elle entretient chez les hommes tous les grands, les nobles sentiments : l’honneur, le désintéressement, la vertu, le courage, et les empêche de tomber dans le plus hideux matérialisme".
Ainsi, se réunir en troupeaux de 400 000 hommes, marcher jour et nuit, ne penser à rien ni rien étudier, ni rien apprendre, ne rien lire, n’être utile à personne, pourrir de saleté, coucher dans la fange, vivre comme des brutes dans un hébétement continu, piller les villes et brûler les villages, ruiner les peuples, puis rencontrer une autre agglomération de viande humaine, se ruer dessus, faire des lacs de sang, des plaines de chair pilée mêlée à la terre boueuse et rougie, des monceaux de cadavres, avoir les bras ou les jambes emportées, la cervelle écrabouillée sans profit pour personne, et crever au coin d’un champ tandis que vos vieux parents, votre femme et vos enfants meurent de faim ; voilà ce qu’on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme.
Sur l’eau (1888), Gallimard 1993, Folio n°2408.

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

PLATON (428-348)   Leave a comment

 

1. La vie et l’oeuvre

Aristoclês, dit Platôn (les larges épaules), est né vers 428 avant Jésus-Christ, à Athènes, dans une famille de l’aristocratie, politiquement influente dans l’opposition à la démocratie.
A 20 ans Platon devient le disciple de Socrate (v.470-399) et le demeure jusqu’à la mort, héroïque et symbolique, de celui-ci.
Puis il est le disciple d’Euclide de Mégare et réside quelque temps auprès du tyran et mathématicien Archytas de Tarente.

Platon aurait souhaité jouer un rôle politique à Athènes, mais les démocrates, alors au pouvoir, ne lui permettant pas, Platon essaye d’intervenir à Syracuse pour faire triompher son "gouvernement des magistrats-philosophes", auprès du tyran Denys l’Ancien chez lequel il se rend en 389.
Mais Denys l’Ancien suspecte Platon de vouloir le faire renverser au profit de son beau-frère, Dion, disciple du philosophe.
Platon est embarqué de force sur un navire spartiate et vendu en esclavage par le capitaine, puis libéré.

Le philosophe fonde alors, à Athènes, en 387, son école, l’Académie, qui subsistera jusqu’en 529 après Jésus-Christ.

Pendant 20 ans Platon se consacre à l’enseignement et à l’écriture.

En 367 il se rend de nouveau en Sicile, appelé par Dion, auprès de Denys le Jeune qui a succédé à son père. Mais Denys le Jeune exile Dion et Platon doit regagner la Grèce.
En 361 une nouvelle tentative auprès de Denys le Jeune se solde encore par un échec.
Cependant, en 357, Dion réussit à renverser Denys le Jeune et à instaurer à Syracuse une dictature platonicienne – mais il est assassiné en 354.
Platon décède en 348 avant J. C.

L’oeuvre de Platon se compose de 28 Dialogues (dont deux véritables traités, La République et Les Lois) et de lettres.

L’oeuvre peut être divisée en trois parties :
-1°: Les dialogues de jeunesse (Apologie de Socrate, Criton, Gorgias) qui correspondent à la période socratique de Platon ;
-2°: Les dialogues de maturité (Phédon, Le Banquet, La République) qui correspondent à la période de l’idéalisme objectif pendant laquelle Platon s’interroge sur le fondement de la connaissance, sur le Juste ;
-3°: Les derniers dialogues (Le Sophiste, Parménide, Le Politique, Philèbe, Timée, Les Lois) dans lesquels Platon, désabusé donc plus réaliste, essaie de remédier aux insuffisances de sa doctrine.

Pour le juridique les trois principaux ouvrages sont : La République, Le Politique, Les Lois.

Les oeuvres complètes de Platon ont été publiées en français par l’Association Guillaume Budé (Paris 1920-1964), les Editions Garnier et la Bibliothèque de la Pléiade (Paris 1940-1942).

2. La philosophie du droit de Platon : le règne du Juste par le gouvernement des magistrats-philosophes.

2.1. Situation.

La philosophie de Platon se situe dans la Tradition indo-européenne, idéologie commune aux peuples issus d’Europe centrale et de Russie du Sud qui, à partir de 2000 environ avant J-C, s’installent sur les territoires actuels de l’Iran puis de l’Inde du Nord-Ouest (les Aryas), de la Turquie (les Hittites), de la Grèce (les Hellènes), de l’Italie (les Italiques qui deviendront, notamment, les Romains), de l’Allemagne du Sud, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et du Portugal (les Celtes qui seront ensuite repoussés par les Germains du IVème au VIIème siècle après J-C). Les Slaves sont également des indo-européens, dont la migration vers le Sud et l’Est de l’Europe commence au VIème siècle de notre ère.

C’est le français Georges Dumézil (1898-1986) qui a mis en évidence le trait commun de tous ses peuples dans le domaine politique, à savoir la répartition de la Société en trois classes fondamentales hiérarchisées : celle des prêtres-souverains, celle des guerriers, celle des producteurs; ces trois classes correspondants aux trois fonctions de la Souveraineté (idéologique et politique), de la Sécurité et de la Fécondité.

La philosophie de Platon a influencé tout le monde méditerranéen puis l’Occident tout entier par Augustin puis la Renaissance.

(Les premiers disciples de Platon étaient tellement émerveillés par la philosophie de leur maître que sa vie devint légendaire : par exemple l’on affirma que sa mère l’avait conçu avec le dieu Apollon tout en demeurant vierge…)

2.2. De l’Univers au Droit.

L’Univers est l’oeuvre d’une Intelligence Souveraine, absolue, idéale et éternelle.
L’Univers est l’oeuvre d’un Démiurge – c’est à dire d’un architecte qui, à partir d’un modèle théorique qui est éternel et parfait, idéal et absolu, a construit matériellement le monde tel qu’il est, a créé le Monde.
Cet Univers ordonné et vivant est habité par les modèles éternels que sont les Idées : seules les Idées sont réelles et absolues – telles l’Idée du Beau, l’Idée du Bien, l’Idée du Juste.
Dans le domaine de l’Art l’Idéal à atteindre est le Beau.
En Morale l’Idéal à atteindre est le Bien.
La Politique c’est la Morale de l’Etat, c’est le gouvernement de l’Etat par la Justice. Dans l’Etat le Bien c’est le Juste.

Si, de fait, à son époque, la Justice ne règne pas dans l’Etat, c’est l’Idéal à atteindre au moyen du "gouvernement des magistrats-philosophes" – gouvernement idéal qu’il propose dans La République.

2.3. Le Droit.

2.3.1. Le Droit c’est le Juste.

La mission de l’homme politique est la découverte du Droit, c’est à dire du Juste, et les lois ne peuvent être que justes :
"Une loi injuste, une loi mauvaise, n’est pas une loi, n’est pas du droit (Les Lois, IV,715b)".
Pour Platon le Droit ne peut être l’ensemble des règles positives émanant de l’Etat.

Le Droit c’est le Juste, mais qu’est-ce que le Juste ?

Selon Platon, dans La République, la Justice est la vertu qui attribue à chacun sa part. Mais comment savoir quelle est la part de chacun ?

Ce sont les gouvernants qui le savent, lorsqu’ils sont sages, qu’ils raisonnent justement, qu’ils ont une sorte d’inspiration de ce qui est juste parce qu’ils sont philosophes.

De même que ces sages se soumettent à la Justice pour ce qui est de leur vie intérieure – ce qui signifie qu’ils soumettent leurs instincts à leurs sentiments et leurs sentiments à la raison – de même, dans la Cité, ils sauront faire des lois justes, ils sauront dire le Droit.

Cela consistera à faire en sorte que l’homme accomplisse sa tâche dans la condition où l’appellent ses capacités.

2.3.2. Les trois classes.

Les capacités variables des hommes les conduisent à appartenir à trois classes sociales subordonnées les unes aux autres :
– la classe des magistrats-philosophes qui gouverne,
– la classe des guerriers-gardiens qui maintient ce qui est,
– la classe des producteurs, agriculteurs et artisans, qui produit.

La Justice dans la Cité est la subordination hiérarchique des classes : la sensualité, le "matérialisme vulgaire", des producteurs est subordonnée au .i.courage; des guerriers, qui est lui-même subordonné à la sagesse des magistrats-philosophes.

Cette juste hiérarchie n’est pas totalement bloquée : une mobilité sociale existe, qui résulte de l’éducation.

2.3.3. La sélection par l’éducation.

Les âmes des êtres humains ne sont pas toutes de même valeur, de même qualité : les unes sont d’or, d’autres sont d’argent, d’autres encore de fer.
Le Juste sera de permettre à ceux qui ont des âmes d’or de devenir magistrats, à ceux qui ont des âmes d’argent d’être gardiens, et à ceux qui onr des âmes de fer d’être producteurs.

Les magistrats sont tenus de faire respecter la hiérarchie au moyen de la sélection par l’éducation.
L’éducation est un monopole de l’Etat, qui ne concerne par principe que les enfants, fils et filles, des gardiens. Ce n’est qu’exceptionnellement que les enfants de la classe inférieure pourront devenir gardiens, par le libre choix des magistrats.

Tout d’abord, les gardiens ne vivent pas en famille mais en communauté.
Il y a "communauté des femmes" et "communauté des biens", ainsi les enfants ne connaîtront pas leurs pères et ceux-ci pourront se consacrer entièrement au service de la Cité.
Mais les femmes sont les égales des hommes, et peuvent donc être, elles-aussi, des gardiennes.

Ensuite leurs enfants sont élevés en commun par l’Etat, qui les sélectionne pour faire descendre dans la hiérarchie ceux qui ont une âme de fer et pour enseigner aux autres, jusqu’à l’âge de 30 ans, le courage, la gymnastique, l’art militaire, l’arithmétique et la géométrie ainsi que la musique. Les meilleurs apprennent encore la physique et l’astronomie.

A 30 ans une nouvelle sélection s’opère parmi les meilleurs qui deviennent des apprentis magistrats auxquels on enseigne la philosophie, et particulièrement la dialectique – c’est à dire l’art du dialogue logique.
Ces jeunes philosophes ne deviennent pas des contemplatifs. Ce sont toujours des gardiens (ou gardiennes), classés hiérarchiquement en différents grades, des hommes (ou des femmes) d’action.

C’est seulement à 50 ans que les meilleurs des gardiens-philosophes sont cooptés par les magistrats pour devenir magistrats eux-mêmes.

2.4. La source du Droit.

Seuls les magistrats sont compétents pour dire le Droit, donc pour dire ce qui est Juste, donc pour gouverner.

Selon l’"allégorie de la caverne" (La République, Livre VII) les hommes sans éducation sont prisonniers des apparences et ne peuvent voir que les ombres des choses.
Les hommes sans éducation sont comme des prisonniers enchaînés depuis toujours dans une caverne, de telle sorte qu’ils ne puissent voir que le fond de celle-ci.
Un feu, allumé sur une colline derrière eux, projette sur le fond de la caverne les ombres de ceux qui passent devant elle et des objets qu’ils portent, et un écho leur envoit le son déformé des voix.
Les prisonniers croient sincèrement que ces sons et ces ombres sont réels.
Si on détachait un prisonnier, et si on l’obligeait à regarder les passants et leurs objets, ii n’en croirait pas ses yeux. La lumière l’éblouirait et encore bien davantage la vision du soleil lui-même.
Il faudrait que le prisonnier s’habitue progressivement à regarder les passants et leurs objets, puis la lune et les astres, et enfin le soleil lui-même.
Mais si le prisonnier était, après cette expérience, réenchaîné dans la caverne, celà serait pour lui insupportable – d’autant que les autres prisonniers ne voudraient pas le croire quant à la réalité du monde extérieur.

Seuls les magistrats-philosophes, au terme d’une longue éducation sélective, peuvent s’évader de la caverne, du monde des apparences, pour s’élever à la connaissance des Idées et découvrir ce qui est Juste, donc le Droit.

Mais, si les magistrats-philosophes peuvent connaître le Juste et dire le Droit, ils ne peuvent communiquer cette connaissance aux hommes sans éducation, qui ne peuvent comprendre.
C’est pourquoi les magistrats-philosophes qui gouvernent sont obligés de tromper le peuple ignorant, dans son propre intérêt, et notamment en lui faisant accroire que tous les citoyens sont frères.
Et c’est pourquoi le Pouvoir politique, exercé par les magistrats-philosophes, ne peut être qu’absolu.

Cependant, de fait, la Cité idéale est difficile à mettre en oeuvre, et Platon en fait l’amère expérience à Syracuse.
C’est pourquoi, à la fin de sa vie, il écrit Les Lois.

2.5. Les Lois.

Dans la Cité idéale, La République, le gouvernement est parfait, et, en conséquence, des lois ( du droit positif écrit, au sens moderne du terme, général et impersonnel) s’imposant à tous ne peuvent exister car, la situation de chacun étant particulière, il ne serait pas Juste que l’on applique à chacun des lois qui ne peuvent être que générales.
Le gouvernement des magistrats-philosophes est Juste parce qu’il impose à chacun ce qui est bon pour lui. Ses décisions ne peuvent donc qu’être individualisées.

Mais, par contre, dans une Cité qui ne connaît pas le gouvernement des magistrats-philosophes il serait Injuste de laisser des ignorants régenter la vie sociale.
C’est pourquoi Platon donne, dans Les Lois, aux grecs de son époque, les conseils nécessaires pour que la vie de la Cité soit la meilleure possible.

Pour ce faire les lois devront réglementer, jusque dans le détail, la vie de tous et dans tous les domaines :
– toute la vie politique et administrative,
– toute l’activité économique, par la composition de la population productive, la répartition des terres, la distribution des richesses, le contrôle des changes …
– toute la vie privée, par le contrôle des mariages et des naissances, de l’éducation qui demeure le premier souci de l’Etat, des moeurs et des croyances.

Le contrôle de l’Etat est total. Cependant, chez Platon, l’Idéal théorique à atteindre n’est pas la puissance de l’Etat, de la Cité, mais le triomphe du Juste – par l’harmonie sociale obtenue gràce à un système qui permettra la perfection morale du citoyen.

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Karl Marx (1818-1883)   Leave a comment

 

Un socialisme dit "scientifique"

Karl Marx affirme dans le Manifeste communiste de 1848 (Manifeste pour la Ligue des communistes, société secrète de propagande révolutionnaire créée pendant l’été 1847) que "L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes", la lutte de la classe dirigeante des oppresseurs et de la classe dirigée des opprimés.
Mais, selon lui, grâce à la révolution prolétarienne la société sans classes, donc sans domination, pourra s’instaurer, définitivement … (Les croyants sont aujourd’hui beaucoup moins nombreux qu’après la deuxième guerre mondiale, et beaucoup plus discrets. Toutefois certains persistent, tout en étant critiques, notamment Roger Garaudy, Souviens-toi, brève histoire de l’Union soviétique, Le Temps des cerises, Pantin, 1994.)

1. La vie et l’oeuvre

Karl Marx est né à Trèves en 1818. Son père, Hirschel Ha Levi, qui est avocat et qui est issu d’une famille de rabbins et de marchands, s’est converti au protestantisme pour pouvoir exercer sa profession. Sa mère est Henrietta Pressburg Hirshel. Karl Marx est baptisé dans le luthérianisme en 1824.

En 1835 il est envoyé par son père à la Faculté de droit de Bonn mais, s’étant fiancé à la fille d’un conseiller d’Etat prussien contre l’avis de ses parents et celui des parents de la jeune fille, Jenny von Westphalen, il est éloigné à l’Université de Berlin en 1836.

De 1836 à 1841 Karl Marx fait des études de droit, de philosophie et d’histoire. Il fréquente le milieu des jeunes hégéliens de gauche (disciples radicaux du grand philosophe Friedrich Hegel, 1770-1831). En 1841 il est reçu docteur en philosophie (Differenz der demokritischen und epikureischen Natur-philosophie, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Epicure) mais ne peut entrer dans l’enseignement comme il le souhaiterait à cause de ses opinions politiques. Il devient journaliste puis rédacteur en chef d’un journal démocratique révolutionnaire qui est interdit par le gouvernement prussien.

En 1843, son père étant décédé en 1838, Karl Marx épouse Jenny von Westphalen et quitte en octobre Berlin pour Paris où il fréquente les milieux socialistes. En 1844 il rencontre le fils d’un grand industriel du textile, Friedrich Engels (1820-1895), qui lui accordera son assistance.

En 1844 il publie dans l’unique numéro des Deutsch-französische Jahrbücher (Annales franco-allemandes) deux articles : Zur Judenfrage, La Question juive ( Enzo Traverso, Les Marxistes et la question juive, hitoire d’un débat (1843-1943), La Brèche-PEC, Paris, 1990) et Zur kritik der hegelschen Rechtsphilosophie, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel.

En 1845 il publie avec Engels et contre les hégéliens de gauche, La Sainte famille ou critique de la critique critique, et rédige des manuscrits qui ne seront publés qu’au XXème siècle, Les manuscrits économico-philosophiques, 1844, et L’idéologie allemande, 1845.

Ayant été expulsé du territoire français à la demande de la Prusse Marx séjourne à Bruxelles de 1845 à 1848. En 1847 il publie Misère de la philosophie en réponse à l’ouvrage de Pierre-Joseph Proud’hon, Philosophie de la misère. En 1848 il publie en collaboration avec Engels l’ouvrage de propagande Le Manifeste communiste.

Expulsé de Belgique début 1848 Marx séjourne en France de mars à juin puis se rend à Cologne où il fonde un journal révolutionnaire, qui fait faillite et lui laisse de lourdes dettes.
Expulsé de Rhénanie en 1849, et après un bref séjour à Paris, Marx se rend à Londres où il séjournera jusqu’à sa mort en 1883. Jusqu’en 1860 sa situation matérielle est très précaire mais son ami Engels ayant hérité des entreprises textiles de son père à cette date peut alors lui assurer un revenu régulier, un autre ami, Wilhem Wolff) lui léguant par ailleurs sa fortune.

Pendant la période 1848-1883, qui est considérée par les marxologues comme étant la période de maturité, Karl Marx publie : Die Klassenkämpfe in Frankreich, Les luttes de classes en France (1850), Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852), Contribution à la critique de l’économie politique (1859), Das Kapital, Kritik der politischen Oekonomie, Le Capital, critique de l’économie politique, livre I (1867), La guerre civile en France (1871), Zur Kritik des sozialdemokratischen Parteiprogramms, Critique du programme de Gotha (1875).

Après la mort de Marx, Engels publie les livres II et III du Capital en 1885 et 1894 et Kautsky les théories sur la plus-value en 1905-1910 sous le titre français Histoire des Doctrines économiques. Les oeuvres de jeunesse de Marx seront publiées en 1932 et les Principes de la critique de l’économie politique en 1939-1941.

2. La philosophie du droit de Karl Marx : par la lutte des classes vers l’association dans la Société sans classes

2.1. La lutte des classes

Selon Marx la cause fondamentale de l’évolution historique est économique.

L’Histoire humaine est le résultat de rapports sociaux qui s’imposent à la volonté des hommes. Ces rapports sociaux expriment la contradiction existant entre les forces (moyens) économiques de production, c’est à dire les hommes et leurs outils, et les rapports de production ou leur expression juridique, c’est à dire le système juridique de propriété.

Les rapports sociaux sont variables selon les modes de production. Et la contradiction, qui est aliénation, produit la lutte des classes.

2.1.1. Les modes de production

Marx distingue les étapes de l’histoire humaine d’après les régimes économiques et détermine ainsi quatre modes de production :

1°- le mode de production asiatique (Karl Marx, Contribution à la Critique de l’économie politique, 1859, Ed. Sociales, Paris, 1972 , p.3.), qui se caractérise par la subordination de tous les travailleurs à l’Etat, c’est à dire à une classe bureaucratique, comme la classe des mandarins en Chine;

2°- le mode de production antique, qui se caractérise par l’esclave, c’est à dire par la subordination de l’esclave à l’homme libre, comme dans l’Empire romain;

3°- le mode de production féodal, qui se caractérise par le servage, c’est à dire par la subordination du serf au noble, propriétaire de la terre, comme au moyen-âge en Occident;

4°- le mode de production bourgeois, qui se caractérise par le salariat, c’est à dire par la subordination du salarié au bourgeois, propriétaire des moyens de production dans les pays capitalistes.

Quel que soit le mode de production deux classes sociales s’opposent, à cause de l’aliénation des rapports sociaux.

2.1.2. L’aliénation

L’aliénation économique – qui est l’infrastructure de la société – est la source de toutes les autres aliénations : sociale, politique, religieuse et philosophique – qui constituent la superstructure.

L’infrastructure

La nature de l’Homme est de construire le monde, et donc de se construire lui-même, par le travail productif, et non par la spéculation sur le travail de l’Autre. En conséquence l’Homme doit produire et être maître de son produit.

Dans la société capitaliste le prolétaire et le capitaliste sont aliénés : le prolétaire, le salarié non-propriétaire de moyens de production, est aliéné car pour lui le travail n’est qu’un moyen de subsistance et non un moyen d’épanouissement ; le capitaliste est lui-même aliéné car il ne produit pas et le travail des salariés prolétaires n’est pour lui qu’une source de profits.

La superstructure

L’aliénation économique conduit à l’aliénation sociale, c’est à dire à l’antagonisme de la classe des prolétaires et de la classe des capitalistes, alors que la Société devrait être harmonieusement unie.

L’aliénation sociale conduit à l’aliénation politique car pour conserver sa position économiquement et socialement dominante la classe des capitalistes doit contrôler l’Etat, c’est à dire l’administration et le droit positif.

L’aliénation politique conduit à l’aliénation religieuse ( Ludwig Feuerbach, Das Wesen des Christentums, 1841, L’Essence du christianisme, La Découverte, Paris, 1982. Sigmund Freud, Die Zukunft einer Illusion, 1927, L’avenir d’une illusion, PUF, Paris, 1971.) et philosophique car la classe dirigeante des capitalistes doit légitimer son pouvoir en utilisant Dieu et/ou la Nature, en fondant son droit positif sur le droit divin et/ou naturel.

Quel que soit le mode de production économique, une classe dirigeante exploite la classe des dirigés. Selon Marx cette situation d’oppression de l’Homme par l’Homme ne sera pas éternelle. Un jour la Société sera sans classes.

2.2. La Société sans classes

La révolution prolétarienne permettra la dictature du prolétariat, qui aboutira au dépérissement de l’Etat et du droit, c’est à dire à l’instauration d’une société sans classes sociales, d’une libre association de personnes libres.

2.2.1. La révolution prolétarienne

Le développement logique du système capitaliste conduit à la concentration du capital et à la paupérisation des salariés, donc conduit à sa mort.

Concentration et paupérisation

Pour accroître ses forces de production, soumises à la concurrence internationale, la bourgeoisie doit procéder à des concentrations d’entreprises. Cela a pour effet de faire tomber dans le prolétariat l’échelon inférieur des classes moyennes, les petits paysans, les artisans, les petits commerçants, les petits industriels.
Cela a également pour effet de maintenir les salaires au minimum alors que les profits des propriétaires capitalistes sont maximalisés, d’où une paupérisation du prolétariat.

Conséquences

Devant cet état de fait les salariés prendront conscience de leur intérêt commun, leur intérêt de classe opprimée, et lutterons contre un système qui, en définitive, s’effondrera de lui-même, les capitalistes n’étant plus qu’une infime minorité face aux salariés prolétaires.

2.2..2. La domination du prolétariat

Par la nationalisation de l’infrastructure et ses conséquences sur la superstructure la domination du prolétariat aboutit, selon Marx, au dépérissement de l’Etat et du droit.

La nationalisation de l’infrastructure

Le prolétariat ayant pris le pouvoir politique utilisera l’administration et le droit positif pour nationaliser les instruments de production et augmenter la quantité des forces productives.
Le prolétariat utilisera sa domination de classe pour détruire le mode bourgeois de production, en substituant l’appropriation collective à l’appropriation privée des moyens de production.

Conséquences sur la superstructure

En détruisant le mode bourgeois de production c’est l’aliénation économique qui est détruite.
L’aliénation économique étant détruite toutes les autres aliénations sont détruites.

Le dépérissement de l’Etat et du droit

Toutes les aliénations étant détruites les classes sociales disparaissent.
Les classes sociales disparaissant l’Etat et le droit disparaissent, puisque l’Etat est l’appareil oppressif d’une classe sur une autre classe utilisant le droit comme moyen de contrainte.
La dictature du prolétariat aboutit donc, selon Marx, à la suppression de l’exploitation de l’Homme par l’Homme et à la constitution d’une libre association de personnes libres.

(Pour un premier bilan après l’effondrement de l’Urss au début des années 1990 : Stéphane Courtois et autres, Le livre noir du communisme, crimes, terreur, répression, Robert Laffont, Paris 1997; et sur les méthodes notamment utilisées pour construire "l’homme nouveau" : Grigore Dumitrescu, L’Holocauste des âmes, Munich 1978, Librairie roumaine, Paris 1997.)

2.2.3. La libre association des personnes libres

L’Etat et son droit oppressif sont remplacés par une libre association "où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous".

Cette libre association n’est pas de nature anarchique. Une autorité publique subsiste, qui est aux mains des communistes, ceux qui savent dans quel sens va l’Histoire et qui sont résolus à accélérer sa marche vers la construction d’un "homme nouveau", l’Homme communiste, l’Homme enfin libre.

Selon Marx cette libre association, en permettant à l’Homme de se réaliser pleinement, ne peut aboutir qu’à la prospérité matérielle et à l’harmonie sociale, par le triomphe d’une morale altruiste librement assumée …

Et, selon lui, cette libre association sera celle des Hommes du Monde entier, elle sera internationale.

3. Le marxisme d’Etat

Contrairement aux prévisions de Marx, qui pensait que la révolution socialiste éclaterait dans les pays capitalistes développés comme l’Allemagne ou l’Angleterre, le socialisme ne s’est implanté que dans des pays moins développés ou sous-développés, comme la Russie de 1917 ou la Chine de 1949, la Yougoslavie, l’Albanie, la Corée du Nord, le Vietnam, Cuba, … à moins qu’il n’ait été imposé par la force des armes comme en Europe de l’Est après 1945.

Dans ces Etats le marxisme est devenu une idéologie d’Etat sous la forme officielle classique de marxisme-léninisme, ou avec des variantes comme le stalinisme ou les pensées Maozedong, Kim Il Sung, Enver Hodja.

L’idéologie d’Etat est utilisée pour imposer de nouvelles structures économiques et sociales, centralisées et interventionnistes, ayant pour objectif le développement national et, si possible, l’expansionnisme impérial (URSS, Vietnam….), selon le schéma fonctionnel indo-européen (souveraineté politico-idéologique, forces armées, forces de production) dans lequel l’économique est subordonné au politique qui est, au moins théoriquement, subordonné à l’idéologique.

—————–

(Pour certains (Wim Beuken et autres, Concilium n° 245, Le Messianisme dans l’histoire, Beauchesne, Paris, 1993) le marxisme est bien un messianisme, le messie étant le prolétariat et l’objectif le bonheur de tous sur la terre, et non pas post mortem et pour l’éternité.
Comme l’on sait le marxisme a enthousiasmé la diaspora juive d’Europe de l’Est. Lénine lui-même a une mère juive, issue d’une famille bourgeoise, convertie à la religion orthodoxe (Dimitri Volkogonov, Le Vrai Lénine, Robert Laffont, Paris, 1995).

"Marx, comme on sait, est juif ou du moins est d’origine juive, puisqu’il a été converti par son père à l’âge de six ans au protestantisme. Son grand-père paternel, Marx-Levy, avait été rabbin à Trèves jusqu’à sa mort en 1789 ; son oncle paternel (Samuel, NDA) avait été grand rabbin du département de la Sarre et membre du grand Sanhedrin ; sa grand-mère paternelle descendait d’une lignée de rabbins célèbres depuis le XVIème siècle, tels que Jehuda ben Eliezer Halevy Minz (mort vers 1508), Meir Katzellenbogen, directeur de la Yechiva de Padoue (mort en 1591), Josua Heschel Lvov (1693-1771) ; sa mère, de son côté, était elle-même issue d’une famille de rabbins hollandais" in Francis Kaplan, Marx antisémite ? Imago/Berg International, Paris, 1990, p. 50. "…Herschel, le père (de Marx, NDA), devint au contraire avocat et se maria avec Henriette Presborck, descendante d’une famille de rabbins hollandais. Avocat, homme cultivé et ouvert aux idées du rationalisme des Lumières, il se convertit au protestantisme vers la fin de 1816 ou au début de 1817, changeant son prénom juif, Herschel, en Heinrich. Cette conversion fut imposée par la nécessité : c’était la condition indispensable pour exercer la profession d’avocat après l’introduction des lois qui interdisaient aux Juifs l’accès aux fonctions publiques. …" in Enzo Traverso, Les Marxistes et la Question juive, Préface de Pierre Vidal-Naquet, 316p., La Brèche, Paris, 1990, p.255 note 9.)

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Gustave LE BON (1841-1931)   Leave a comment

Une psychologie sociale réaliste

1. La vie et l’oeuvre

Charles-Marie-Gustave Le Bon est né à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir, France), où son père est alors conservateur des hypothèques, le 7 mai 1841.
Il effectue ses études secondaires au Lycée de Tours puis fait ses études de médecine à Paris, où il obtient son doctorat en 1866.

Plus soucieux, semble-t-il, de recherches que de pratique médicale il écrit de nombreux articles, fait des communications aux sociétés savantes, publie des ouvrages à succès tel "La mort apparente et les inhumations prématurées"(1866).

Esprit particulièrement curieux Gustave Le Bon s’intéresse à tout, voyage beaucoup, rencontre les spécialistes de son temps. En 1892, par exemple, il publie un ouvrage qui fait encore autorité, "L’équitation actuelle et ses principes", dans lequel il utilise la technique photographique.

Ses recherches médicales, tout d’abord orientées vers la physiologie, l’anatomie et la physique, évoluent vers les sciences sociales, ou, plus précisément, de l’anthropologie biologique vers l’anthropologie sociale. Son premier grand ouvrage dans ce dernier domaine est "L’homme et les sociétés"(2 vol., 1881, fac-similé J.M. Place, Paris 1988).

Puis il évolue de l’anthropologie sociale vers la psychologie sociale, discipline dont il est le père fondateur. Son ouvrage "Psychologie des foules"(1895, rééd. PUF, Paris, 1981) est un succès mondial, qui paraît après "Les lois psychologiques de l’évolution des peuples"(1894, rééd. Les Amis de G. Le Bon, Paris, 1978) et est suivi par "Psychologie du socialisme"(1896, rééd. Les Amis de G. Le Bon, Paris, 1977), "Psychologie de l’éducation "(1902), "Psychologie politique"(1911, rééd. Les Amis de G. Le Bon, Paris, 1984), "Les opinions et les croyances"(1911), "La Révolution française et la psychologie des révolutions"(1912, rééd. Les Amis de G. Le Bon, Paris, 1983).

En 1914 Le Bon a 73 ans et par "La vie des vérités" (rééd. Les Amis de G. Le Bon, Paris, 1985) ouvre la dernière phase de son existence, marquée par une certaine réhabilitation des croyances religieuses par la science ("Bases scientifiques d’une philosophie de l’histoire"(1931)).

"Dès l’après-guerre en effet, Le Bon prévoit la Seconde Guerre mondiale, le triomphe des dictatures en Europe, les conflits d’Orient, d’Amérique latine, d’Irlande, la propagation du socialisme, la résurgence de l’Islam avec une lucidité qui laisse le lecteur de nos générations émerveillé" (Catherine Rouvier, Les idées politiques de Gustave Le Bon, PUF, Paris, 1986, p.44).

2. La psychologie sociale de Gustave Le Bon

2.1. Les sources irrationnelles

2.1.1. Les différentes logiques

Pour Gustave Le Bon il n’y a pas une logique mais des logiques, une logique étant "l’enchaînement des causes déterminant… tel ou tel comportement".

Les logiques sont au nombre de cinq :
1- la logique rationnelle, qui est la logique au sens classique du terme ;
2- la logique affective, ou logique des sentiments, qui est en grande partie inconsciente ;
3- la logique mystique, qui est consciente et qui relève de la croyance ;
4- la logique collective, un combiné de la logique affective et de la logique mystique, qui est celle de l’"homme en groupe, en foule" ;
5- la logique biologique, qui est la cause première parce qu’elle régit la vie de l’individu.

2.1.2. Le rôle de l’inconscient

Selon Gustave Le Bon l’être humain est surtout guidé dans la vie par deux sortes de concepts : les concepts ancestraux ou concepts de sentiments et les concepts acquis ou concepts intellectuels :
1- les concepts de sentiments sont hérités du milieu social, de la "race historique" ;
2- les concepts intellectuels sont acquis par l’éducation et ne deviennent efficaces que lorsqu’ils ont pénétré dans l’inconscient et sont devenus des sentiments.

Le Bon distingue trois niveaux d’activité de l’inconscient :
1- le niveau organique, biologique ;
2- le niveau affectif ;
3- le niveau intellectuel.

Un peuple comme un individu a un inconscient et la base de cet inconscient collectif est formé d’"accumulations héréditaires" formant le caractère de la "race".

2.1.3. La "race"

Selon Le Bon "L’histoire d’un peuple ne dépend pas de ses institutions mais de son caractère, c’est-à-dire de sa race" (Lois psychologiques de l’évolution des peuples, p.90).

Pour Le Bon, selon lequel "il n’y a plus de races pures dans les pays civilisés", il faut entendre par race une "culture et des traditions communes" fondées sur des "accumulations héréditaires".

Ce qui conditionne la structure de l’inconscient collectif d’un peuple, sa "constitution mentale", c’est la "race historique" à laquelle il appartient :
"Lorsque des peuples de même origine ou d’origines diverses sans être trop éloignées ont été soumis pendant plusieurs siècles aux mêmes croyances, aux mêmes institutions, aux mêmes lois, ils constituent ce que j’ai appelé d’ailleurs une "race historique" ; cette race possède alors en morale, voire en religion, en politique et sur une foule de sujets, un ensemble d’idées, de sentiments communs tellement fixés dans les âmes que tout le monde les accepte sans discuter" (Les opinions et les croyances, p.169).

Le Bon est hostile à la mystique allemande de la race pure (notamment : Les opinions et les croyances, p.80).

2.1.4. Les opinions et les croyances

Pour Le Bon "La véritable réalité des choses, c’est l’idée qu’on s’en fait" (Psychologie politique, p.363).

Les idées sont le moteur des civilisations et de l’évolution des peuples.
Mais "l’étude des diverses civilisations qui se sont succédé depuis l’origine du monde, prouve qu’elles ont toujours été guidées dans leurs développements par un très petit nombre d’idées fondamentales."(Lois psychologiques de l’évolution des peuples, p.104).

Ces idées fondamentales deviennent des croyances lorsqu’elles sont acceptées comme étant vraies a priori sans qu’intervienne la logique rationnelle, alors que les idées deviennent des connaissances lorsqu’il y a "acquisition consciente, édifiée par des méthodes exclusivement rationnelles, telles que l’expérience et l’observation".

Si les croyances peuvent changer le besoin de croire demeure qui selon Le Bon "constitue un élément physiologique aussi irréductible que le plaisir ou la douleur. Comme la nature a horreur du vide, l’âme humaine a horreur du doute et de l’incertitude…, les dogmes détruits sont toujours remplacés. Sur ces nécessités indestructibles la raison est sans prise" (Les opinions et les croyances, p.8).

La science elle-même est soumise aux croyances qui censurent et orientent les recherches et les théories.

Les croyances font les révolutions lorsqu’elles "descendent jusque dans la profondeur des foules" (Lois psychologiques de l’évolution des peuples, p.108).

2.2. La logique de l’action collective

2.2.1. La "foule psychologique"

Le Bon définit dans son ouvrage fondamental "Psychologie des foules" (PUF p.9) ce qu’il entend par "foule psychologique" :
"Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d’individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent.
Au point de vue psychologique, l’expression foule prend une signification tout autre. Dans certaines circonstances données, et seulement dans ces circonstances, une agglomération d’hommes possède des caractères nouveaux fort différents de ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Il se forme une âme collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que, faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l’unité mentale des foules".

La "foule psychologique" peut n’être constituée que de quelques personnes réunies ensemble ou du peuple tout entier mentalement soudé par un événement national de première importance.
Ce qui fait la "foule psychologique" c’est un choc psychique qui transforme les individus en un être collectif doté d’une unité mentale.

Le substrat de cette unité mentale c’est la "constitution mentale" du peuple, l’"âme de la race" dont la foule est issue mais l’"âme des foules" varie aussi "suivant la nature et le degré des excitants qu’elles subissent"(p.10).

Ces excitants sont le nombre, la contagion mentale et la suggestion.
Le nombre donne à l’individu en foule un sentiment de "puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés", d’autant "que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement"(p.13).
La contagion mentale est le phénomène d’imitation qui pousse l’individu à faire comme les autres, même si son comportement est manifestement contraire à son intérêt personnel.
La suggestion relève du phénomène hypnotique. "La personnalité consciente est évanouie, la volonté et le discernement abolis. Sentiments et pensées sont alors orientés dans le sens déterminé par l’hypnotiseur". L’influence d’une suggestion peut lancer l’individu en foule "avec une irrésistible impétuosité vers l’accomplissement de certains actes"(p.14).

L’individu en foule "n’est plus lui-même, mais un automate que sa volonté est devenue impuissante à guider"."Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs"(p.14).

2.2.2. Les sentiments de la "foule psychologique"

La "foule psychologique" est crédule.
Comme les femmes et les enfants la "foule psychologique" croit les choses les plus invraisemblables, c’est qu’elle pense par images et que donc c’est son imagination qu’il faut impressionner :
"Et c’est pourquoi ce sont toujours les côtés merveilleux et légendaires des événements qui frappent le plus les foules. Le merveilleux et le légendaire sont, en réalité, les vrais supports d’un civilisation. Dans l’histoire l’apparence a toujours joué un rôle beaucoup plus important que la réalité. L’irréel y prédomine sur le réel"(p.35).

Les images les plus susceptibles d’impressionner les foules sont les images simples et fortes :
"Tout ce qui frappe l’imagination des foules se présente sous forme d’une image saisissante et nette, dégagée d’interprétation accessoire, ou n’ayant d’autre accompagnement que quelques faits merveilleux : une grande victoire, un grand miracle, un grand crime, un grand espoir. Il importe de présenter les choses en bloc, et sans jamais indiquer la genèse. Cent petits crimes ou cent petits accidents ne frapperont aucunement l’imagination des foules ; tandis qu’un seule crime considérable, une seule catastrophe, les frapperont profondément, même avec des résultats infiniment moins meurtriers que les cent petits accidents réunis"(pp.36-37).

C’est pourquoi "la foule n’étant impressionnée que par des sentiments excessifs, l’orateur qui veut séduire doit abuser des affirmations violentes". "Connaître l’art d’impressionner l’imagination des foules c’est connaître l’art de les gouverner"(p.37).
Il faut donc procéder par affirmation, utiliser la répétition et jouer de son prestige personnel.

2.2.3. Les différentes sortes de "foules psychologiques"

Il faut distinguer les foules homogènes des foules hétérogènes, les foules anonymes et non anonymes, et les foules électorales.

Par exemple les clients d’un grand magasin qui se ruent vers la sortie au déclenchement d’un incendie constituent une foule hétérogène anonyme, un jury d’assises une foule hétérogène non anonyme, les sectes religieuses ou politiques des foules homogènes anonymes ou non anonymes, les foules électorales qui sont hétérogènes et anonymes se distinguant par le fait qu’elles ne sont pas nécessairement composées d’individus réunis physiquement dans un même endroit.

2.3. Les réalités politiques

Ce n’est pas la raison humaine qui fait l’Histoire :
"Laissons donc la raison aux philosophes, mais ne lui demandons pas trop d’intervenir dans le gouvernement des hommes. Ce n’est pas avec la raison, et c’est souvent malgré elle, que se sont créés des sentiments tels que l’honneur, l’abnégation, la foi religieuse, l’amour de la gloire et de la patrie, qui ont été jusqu’ici les grands ressorts de toutes les civilisations"(p.67).
"Il était invraisemblable qu’un ignorant charpentier de Galilée pût devenir pendant deux mille ans un Dieu tout-puissant, au nom duquel fut fondées les plus importantes civilisations : invraisemblable aussi que quelques bandes d’Arabes sortis de leurs déserts pussent conquérir la plus grande partie du vieux monde gréco-romain, et fonder un empire plus grand que celui d’Alexandre ; invraisemblable encore que, dans une Europe très vieille et très hiérarchisée, un simple lieutenant d’artillerie (Buonaparte) réussît à régner sur une foule de peuples et de rois"(p.67).

Gustave Le Bon critique le régime parlementaire des démocraties occidentales :
"Le régime parlementaire synthétise d’ailleurs l’idéal de tous les peuples civilisés modernes. Il traduit cette idée, psychologiquement erronée mais généralement admise, que beaucoup d’hommes réunis sont bien plus capables qu’un petit nombre, d’une décision sage et indépendante sur un sujet donné"(p.113).

Il n’est pas, pour autant, contre la démocratie libérale car :
"Malgré toutes les difficultés de leur fonctionnement, les assemblées parlementaires représentent la meilleure méthode que les peuples aient encore trouvée pour se gouverner et surtout se soustraire le plus possible au joug des tyrannies personnelles"(p.120).
Mais il souhaite qu’elle se réforme par l’instauration d’un exécutif fort s’appuyant sur une majorité cohérente :
"Les grandes questions à résoudre au sein des parlements ne peuvent être résolues qu’avec une majorité fortement groupée autour d’un homme d’Etat capable de la diriger et non avec des majorités de hasard que la même semaine voit naître et disparaître"(Le déséquilibre du monde, 1923).

Le Bon n’est donc pas hostile au suffrage universel et donne aux candidats des conseils pour manipuler les "foules électorales"(Psychologie des foules, chap. IV, pp.107-112).
Tout d’abord le candidat doit jouir d’un prestige personnel :
"La première des qualités à posséder pour le candidat est le prestige. Le prestige personnel ne peut être remplacé que par celui de la fortune. Le talent, le génie même ne sont pas des éléments de succès.
Cette nécessité pour le candidat d’être revêtu de prestige, de pouvoir par conséquent s’imposer sans discussion, est capitale. Si les électeurs, composés surtout d’ouvriers et de paysans, choisissent si rarement un des leurs pour les représenter, c’est que les personnalités sorties de leurs rangs n’ont pour eux aucun prestige. Ils ne nomment guère un égal que …pour contrecarrer par exemple…un patron puissant…"(p.107).
Ensuite le candidat doit flatter les convoitises et les vanités de l’électeur :
"le candidat doit l’accabler d’extravagantes flagorneries, ne pas hésiter à lui faire les plus fantastiques promesses"(p.107).
Par contre le programme écrit du candidat "ne doit pas être trop catégorique, car ses adversaires pourraient le lui opposer plus tard"(p.108).

2.4. La civilisation et ses nécessités

Ce qui distingue fondamentalement le pays civilisé c’est l’existence dans celui-ci d’une élite d’individus capables "de maîtriser entièrement leurs suggestions sentimentales, c’est-à-dire possédant la faculté qualifiée par les anglais de self-control"(Bases scientifiques d’une philosophie de l’histoire, p.151) et capables d’imposer à la foule un idéal :
"Peu importe la nature de cet idéal. Que ce soit le culte de Rome, la puissance d’Athènes ou le triomphe d’Allah, il suffira pour doter tous les individus de la race en voie de formation d’une parfaite unité de sentiments et de pensées"(Psychologie des foules, p.124).

L’idéal qui permet la civilisation revêt le plus souvent une forme morale et religieuse, et c’est l’éducation qui fait l’élite.

La morale est une nécessité biologique. C’est une notion du bien et du mal imaginée pour faciliter les rapports sociaux et donc pour conserver vivante la société, c’est :
"L’ensemble des règles servant de guide à la conduite des êtres réunis en société" (La vie des vérités, p.127). Cette morale est variable selon les nécessités vitales de la société considérée.

La religion, selon Le Bon, synthétise les sentiments, les idées et les besoins d’une race, elle est indispensable pour conduire les foules à la civilisation par le rêve :
"Passer de la barbarie à la civilisation en poursuivant un rêve, puis décliner et mourir dès que ce rêve a perdu de la force, tel est le cycle de la vie d’un peuple"(Psychologie des foules, p.125).

S’il faut une religion aux foules c’est dans le sens d’idéologie qu’il convient d’entendre le mot car toutes les convictions des foules revêtent des formes religieuses :
"En examinant de près les convictions des foules, aussi bien aux époques de foi que dans les grands soulèvements politiques, comme ceux du dernier siècle, on constate qu’elles présentent toujours une forme spéciale, que je ne puis mieux déterminer qu’en lui donnant le nom de sentiment religieux.
Ce sentiment a des caractéristiques très simples : adoration d’un être supposé supérieur, crainte de la puissance qu’on lui attribue, soumission aveugle à ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance à considérer comme ennemis tous ceux qui refusent de les admettre. Qu’un tel sentiment s’applique à un Dieu invisible, à une idole de pierre, à un héros ou à une idée politique, il reste toujours d’essence religieuse. Le surnaturel et le miraculeux s’y retrouvent également. Les foules revêtent d’une même puissance mystérieuse la formule politique ou le chef victorieux qui les fanatise momentanément.
On n’est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de son esprit, toutes les soumissions de sa volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d’une cause ou d’un être devenu le but et le guide des sentiments et des actions"(p.39-40).

C’est une bonne éducation qui permet de former l’élite nécessaire à la conservation de la société par le rêve.

Le Bon oppose l’éducation latine, qu’il considère comme étant mauvaise, à l’éducation anglo-saxonne :
"On agit toujours sans tenir compte de la différence qui sépare les sentiments de l’intelligence. Tout notre système d’éducation latine en est la preuve. La persuasion que le développement de l’intelligence par l’instruction développe aussi les sentiments, dont l’association constitue le caractère, est l’un des plus dangereux préjugés de notre université. Les éducateurs anglais savent depuis longtemps que l’éducation du caractère ne se fait pas avec des livres"(Les opinions et les croyances, p.44).
Un bonne éducation doit servir à dominer les réflexes héréditaires, qui sont ceux de l’homme en foule, pour lui permettre de garder son self-control, et non à accumuler les connaissances et donc les diplômes.
L’instruction, qui est accumulation de connaissances, ne doit pas être confondue avec l’éducation.

Le Bon reproche aux latins de privilégier la mémoire au détriment de l’observation, l’esprit d’initiative, la responsabilité :
"Tous les universitaires de race latine tiennent pour un principe à l’abri de toute discussion que c’est par la mémoire seule que les choses se fixent dans l’esprit…, de ce principe fondamental…nous avons vu les conséquences.. Les élèves perdent inutilement huit ans au collège et six mois après il ne leur reste plus rien de ce qu’ils ont appris dans les livres"(Psychologie de l’éducation, p.229).

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres

Muhammad, ou Mohammed, dit Mahomet (vers 571-632)   Leave a comment

 

Prophète religieux, ayant une vie d’homme politique et d’homme de guerre, Muhammad fonde la troisième des religions dites "du Livre", c’est-à-dire reposant sur la bible : le judaïsme, le christianisme et donc l’islam (§ 1).
Ce dernier développement d’une construction idéologique qui a pour but le contrôle social de populations "dynamiques" va instaurer un système totalisant reposant fondamentalement sur un texte considéré comme étant sacré et donc intouchable, une théocratie islamique (§ 2).

§ 1. La vie et l’oeuvre du prophète Muhammad

Muhammad (le loué) eat né vers 571 de l’ère chrétienne dans la ville de La Mecque. Son père appartenait à la tribu de Quraysh, spécialisée dans le commerce international. Ses parents étant décédés peu après sa naissance, il est recueilli par un oncle, commerçant aisé, Abû Tâlib. Il travaille, notamment, chez une riche commerçante, veuve, qui organise des caravanes, et serait allé jusqu’en Syrie.
Bien qu’âgé de vingt-cinq ans seulement, il épouse cette femme qui avait, dit-on, quarante ans, qui lui donne quatre filles et des fils qui meurent tous en bas âge. Il adopte son cousin Ali.

Notable considéré dans sa ville natale, Muhammad se heurte cependant à l’incompréhension, sinon au mépris, des dirigeants de la cité, aux préoccupations essentiellement matérielles et à courte vue, alors que le peuple a des aspirations communautaires, lorsque Muhammad essaie d’attirer leur attention sur la nécessité d’introduire des réformes dans le gouvernement de la ville.

Par ailleurs, la religion arabe polythéiste traditionnelle, alors pratiquée, est décadente.
Les juifs ont dans la région des centres intellectuels riches et puissants.
Les chrétiens, peu nombreux, pauvres et ignorants, sont, eux, directement présents à La Mecque.
Les Perses enfin, sous le règne des Xosrô (531-628) sont fabuleusement riches et s’opposent à l’Empire romain d’Orient chrétien. Ils diffusent leur religion monothéiste, le Mazdéisme, la religion de Mazda (Zarathustra dit Zoroastre).
Muhammad s’instruit de ces doctrines monothéistes et apprend en particulier l’histoire biblique telle qu’elle est connue sur place à cette époque.

Vers l’an 610, après une retraite dans une caverne de la montagne où il pratique une ascèse de type chrétien, Muhammad, selon la tradition, a une vision.
Il entend la voix de l’archange Gabriel qui lui transmet les paroles de Dieu, qu’il dictera plus tard à un secrétaire et qui formeront ensuite, remises en ordre, le Coran (qur’ân, récitation).

Selon le prophète Muhammad Dieu dénonce tout d’abord l’égoïsme des riches qui devront suivre les conseils de Muhammad l’"avertisseur" : se montrer humbles et justes, donner une part de leurs biens aux pauvres et aux orphelins, faute de quoi le Créateur unique et tout-puissant, Allâh, leur demandera des comptes au jour du jugement (Allâh – la divinité – était, dans le polythéisme arabe, un dieu parmi les autres dieux).

L’appel de Muhammad est accueilli positivement par sa maison, quelques amis, des Mekkois de condition modeste et des jeunes révoltés contre leur milieu mais, évidemment, négativement par les dirigeants.
Protégé par son oncle Abu Tâlib, Muhammad n’eut pas, dans un premier temps, à souffrir de la persécution, mais après la mort de celui-ci, survenue en 619, il dut se réfugier à Médine avec soixante-dix de ses fidèles.
Il y parvint avec son conseiller Abû Bakr le 24 septembre 622, année de l’hégire (hidjra, émigration). Entre-temps la pensée du prophète s’était développée et la secte avait pris le nom de muslimun (ceux qui remettent leur âme à Allâh), les musulmans.

A Médine, Muhammad se révèle être un excellent chef politique et militaire, qui essaie tout d’abord de se rallier la communauté juive, mais sans succès. Après quelques combats victorieux contre les Mekkois, les clans juifs et païens opposés à Muhammad sont éliminés.
En 625 le prophète est le maître incontesté de la ville de Medine. Entre-temps la religion du prophète s’est arabisée, qui se rattache à Abrâham (Ibrâhîm) par Ismaël, qui auraient fondé la Ka’ba de la Mecque vers laquelle la prière doit s’orienter, et prend des positions anti-juives : ainsi Jésus est reconnu comme étant un grand prophète né d’une vierge. Mais la "révélation" organise en même temps la vie communautaire, notamment du point de vue juridique, dans un sens libéral pour l’époque.

En 630, La Mecque est occupée par les musulmans et la Cité-Etat de Médine contrôle alors l’Arabie. Muhammad y décède après une courte maladie le 8 juin 632.

§ 2. La théocratie islamique

Les peuples islamiques sont fiers d’appartenir à l’Umma (Oumma), "la Communauté la meilleure qui ait surgi parmi les hommes", "la nation du Prophète", caractérisée par un vouloir-vivre collectif (quelque fois un peu forcé …) et soumise aux règles coraniques, des règles qui fondent spirituel et temporel (A) et légitiment le pouvoir d’un chef (B).

A/ Spirituel et temporel fondus

Le Coran est le texte sacré, la Loi divine, en principe intouchable, mais qu’il faut bien "expliciter" par la jurisprudence des écoles (2.).

1. La Loi divine

Le Coran forme un ensemble indissociable d’affirmations de foi et de règles de vie politico-sociale. On peut dire qu’il existe une fusion du spirituel et du tempore1 propre à l’Islam et qui tend à dessiner les traits d’une Cité islamique, musulmane, idéale.

Les règles coraniques sont des lois positives divines. Seul Dieu, et, par extension, le Prophète, sont des législateurs.
Les applications pratiques et concrètes de ces lois relevant d’une intervention de la raison humaine qui permet la recherche personnelle, l’interprétation, l’ijtihâd, la jurisprudence.

2. La jurisprudence des écoles

Quatre grandes écoles juridiques se sont rapidement créées qui se sont réparti l’ensemble des musulmans qui appartiennent à l’Islam sunnite, très largement majoritaire, et qui ont fixé chacune une jurisprudence :
– l’école hanafite, fondée par l’iman Abou Hanifa (v.696-767) en Mésopotamie, qui fut surtout répandue par les Turcs et se rencontre en Turquie, au Pakistan, en Chine ;
– l’école malikite, fondée par l’iman Malik (710-795) et implantée en Arabie, en Haute Egypte, au Soudan, en Afrique du Nord, en Afrique occidentale ;
– l’école shafi’ite, fondée par l’iman al-Shafi’i (767-820) et implantée en Egypte ; en Syrie, en Arabie du Sud, en Malaisie, en Indonésie, en Afrique orientale ;
– l’école hanbalite de 1′iman Ibn Hanbal (780-855) imp1antée majoritairement en Arabie, la plus fondamentaliste.

Il convient de noter que l’Islam shi’ite, majoritaire en Iran et en Irak, maintient, en théorie, le principe de la recherche personnelle.

B/ La légitimation d’un chef

Oui, mais quel chef ? Son mode de désignation divise sunnites et shi’ites (1.), mais ses fonctions sont bien de nature théocratiques (2.).

1. Le chef dans le sunnisme et le shi’isme

A l’époque dite classique (les premiers siècles) la "communauté" des croyants s’en remet à un chef, le calife (1’imam chez les shi’ites), le lieu-tenant (celui qui tient le lieu, qui tient lieu de) du Prophète.
Dans la Cité humaine, c’est lui qui détient, au nom du Prophète, l’autorité et le commandement (c’est le chef de l’exécutif qui est chargé de faire appliquer une loi dont les prescriptions recouvrent à la fois des domaines religieux, civique et politique). C’est lui qui est chargé de maintenir l’unité de la "communauté", qui exerce la charge de la "commanderie du bien".

C’est à propos du mode de désignation du calife, de l’imam, et des conditions qu’il doit remplir pour être élu, qu’il y eut rupture entre le sunnisme et le shi’isme.
Le shi’isme, le parti d’Ali, le cousin et gendre du Prophète, ne reconnaît d’imama légitime que dans la descendance du Prophète lui-même qui, explicitement, dans un texte, a désigné Ali comme son successeur et c’est également par un texte, un testament, que l’imam régnant doit désigner, parmi sa descendance mâle, celui qui lui succédera et qui ne peut être que "l’homme le meilleur de son époque", non seulement un "savant" et un "juste", mais encore quelqu’un qui, par un privilège divin qui lui est commun avec les prophètes, est infaillible et irréprochable (ce qui est bien commode pour gouverner …).

Dans la pratique le shi’isme se divisa en de nombreuses sectes :
Les zaydites du Yémen substituèrent l’élection au "testament".
Les isma’iliens reconnaissent sept imams historiques, avec pour certains une descendance visible, c’est le cas des disciples de l’Aga Khan.
Les imamites restent attachés à une succession de douze imams dont le dernier, Muhammad al Mahdi, est l’imam "caché" ou "disparu", qui doit revenir à la fin du monde. En son absence, la communauté doit suivre les interprètes des enseignements ou des doctrines de l’imam. L’imamisme est la religion officielle de l’Iran et les interprètes de l’imam sont les Ayatollahs.

La tradition sunnite est différente.
Le calife est bien lieu-tenant du Prophète, mais en quelque sorte en tant que premier fonctionnaire de la Cité. Selon la majorité des docteurs (uléma) il doit être désigné par l’élection, comme le furent les preniers califes après la mort du prophète.
Il est élu par les notables, ceux "qui délient et lient", parmi les membres de la tribu du Prophète (quraysh). Il doit être apte, physiquement et moralement, à remplir sa charge, mais celle-ci ne le rend ni infaillible ni irréprochable.

2. Les fonctions théocratiques du chef

Le calife ne détient pas le pouvoir spirituel.
Aucun homme ne pouvant détenir de pouvoir spirituel sur un autre.

Il ne possède pas davantage le pouvoir législatif au sens strict du terme, puisque le Coran est la Loi unique.

Par principe le pouvoir judiciaire devrait lui échapper également puisqu’il appartient à chaque croyant qui est capable de l’exercer, donc avant tout à ceux qui pratiquent l’interprétation, l’ijtihad, puis aux mufti (théoriciens et interprètes du droit coranique, qui remplisent à la fois des fonctions religieuses, judiciaires et civiles) et aux cadi (également juges).
De fait, l’on peut considérer que le pouvoir judiciaire est délégué aux juges, de même que le pouvoir exécutif aux administrateurs locaux, les walis.

Cela ne porte pas atteinte au caractère théocratique du système dans la mesure où le calife tient bien son autorité de Dieu en tant que lieu-tenant du Prophète.

C’est à ce titre que le souverain dispose d’un droit essentiel pour gouverner – le droit d’être obéi.
Les penseurs islamiques justifient l’obéissance par référence au verset coranique des umara (les émirs, les gouvernants). De même que le croyant doit être totalement soumis à Dieu il doit se soumettre aux ordres du chef, lieu-tenant du Prophète.
Cette obéissance a un caractère absolu, qui ne souffre ni limites ni exceptions. Ce qui n’est pas sans conséquences lorsque le chef est un paranoïaque …
Il ne saurait être question de se révolter, même contre un gouvernant ignorant et injuste. Cela serait impie.
Les seules réactions possibles sont la prière et le conseil. Car le prince a le devoir d’être juste puisque l’équité est le bien politique absolu … (Un système absolutiste tout à fait comparable à la théocratie catholique d’Augustin (354-430), un système qui peut justifier la guerre juste, ou guerre sainte, djihad).

Publié 3 janvier 2008 par espoira2 dans LES GRANDS IDEOLOGUES et les autres