C’est peut-être là, la clé de la société néo-bourgeoise dans laquelle baignent les Sarkozy et autres. Des gens qui se rêvent des vies et des destins et qui trouvent des troubadours médiatiques pour les raconter. Nous aussi on rêve qu’on est OSS 117 ou qu’on fait partie “du club des grands séducteurs de la planète”… mais nos rêves ne font pas la une de Paris Match…
A force de rêver leur vie et de ne pas avoir de souci de fin de mois, ils perdent tout contact avec la réalité. Orwell disait déjà cela dans les années 1940…
Dans tous les cas, article magistralement écrit, bravo Florence et Christophe !!!!
Le roman vrai des infirmières bulgares : Sur la piste du commando Cécilia
Dans cette affaire, tout se mêle : espions et people, gros contrats et humanitaire, les soubresauts du couple Sarkozy et la soif de revanche du colonel Kadhafi. Retour sur une initiative diplomatique menée comme un raid nocturne
En Libye, Cécilia Sarkozy a vécu «un truc» dément. Vous vous souvenez qu’elle était allée deux fois à Tripoli, en juillet, pour la libération des infirmières bulgares ? «Je suis arrivée, je les ai prises, je mis partie. J’ai fait le plus grand casse du siècle. Kadhafi n’avait aucune intention de libérer ces filles.»
Elle en est sûre, elle le raconte, ou en tout cas tout le monde le répète aujourd’hui.
Cela s’est passé aux dernières minutes de la dernière nuit du dernier voyage, le 24 juillet 2007, vers 3 heures du matin. Comme un «roman», dit-elle. Les négociations patinent avec les Libyens. Cécilia se tourne vers ses gardes du corps : «Messieurs, c’est le moment de prouver que vous en avez.» Nos garçons sont galvanisés : ils partent à la prison de Djoudeida, font sauter les verrous des cellules avec leurs armes de poing, sortent les infirmières et le médecin. Sauvés !
Trois biographies sur l’ex-madame Sarkozy viennent de paraître, et toutes reviennent sur «les aventures de Cécilia en Libye». Même le fidèle Claude Guéant, le plus proche collaborateur du président, reste estomaqué par son récit : «C’est évidemment absolument inexact… C’est même complètement fou.»
Depuis l’été, on a tout invoqué, l’atome et le people, les ventes d’armes et l’humanitaire, les services secrets et le prime time. Saisie, une commission d’enquête parlementaire se lance sur les traces du «commando Cécilia». Loin de l’éclaircir, son rapport, rendu public le 22 janvier, rajoute aux mystères du vrai-faux roman des infirmières.
Surtout ni gyrophare ni voiture officielle : de la discrétion. Le second tour de la présidentielle a eu lieu quatre jours plus tôt, et Pierre de Bousquet de Florian, patron de la DST, conduit lui-même un visiteur à Nicolas Sarkozy, toutes affaires cessantes. Officiellement, Moussa Koussa est dépêché par Muammar Kadhafi pour transmettre ses félicitations au nouveau président. 1,90 mètre, les tempes argentées, des doigts démesurés, Koussa parle peu, toujours d’une voix douce. «Un seigneur», dit-on à la DST. Lui aussi la connaît bien : Koussa dirige les renseignements libyens. OAS_AD(\’Middle1\’);
C’est Claude Guéant qui le reçoit : ils se sont déjà rencontrés quand Sarkozy était ministre de l’Intérieur.
En réalité, Koussa est venu parler des infirmières bulgares et du médecin palestinien, emprisonnés depuis 1999 et condamnés à mort. Boucs émissaires d’un système sanitaire défaillant, ils ont été désignés à l’opinion publique libyenne comme coupables d’une épidémie de sida qui a contaminé plus de 400 enfants dans un hôpital à Benghazi. Des quasi-otages, le signe pour l’Occident que, malgré ses efforts,; Kadhafi restera toujours ce «chien enragé du Proche-Orient», comme disait Ronald Reagan.
A Claude Guéant, Koussa explique : «Nous ne voulons ni les exécuter ni les garder, mais l’opinion est très remontée.» Il ajoute : «La Libye serait ravie que Nicolas Sarkozy joue un rôle.» Le voilà justement qui surgit pendant l’entretien. Le président accepte la partition que lui a réservée Kadhafi. Il sera le libérateur des infirmières. Comme pour tout, Sarkozy va s’approprier le rôle au point d’en paraître l’initiateur.
Des contacts à propos des infirmières avaient déjà eu lieu pendant la campagne. Rien de définitif. En mai 2007, les choses s’accélèrent. Kadhafi vient d’avoir une attaque cérébrale, ses fils ont été rappelés à son chevet. Il s’est rétabli, même s’il garde une rigidité dans le bas du visage. Mais désormais le Guide de la révolution est pressé. Avec cette affaire, il veut sa revanche. Vite.
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Devenir un homme d’Etat fréquentable n’est pas une ambition nouvelle pour lui. Il a déjà abandonné ses vulgates antiaméricaines, ses folies, ses complots au tournant des années 2000. Après onze ans d’embargo, la Libye a fini par payer les indemnités réclamées par les juges européens pour l’attentat de Lockerbie, puis pour celui du DC-10 : 10 millions de dollars par victime dans le premier cas, 1 million dans le second.
L’arrestation de Saddam Hussein, en 2003, le frappe comme un signe du ciel. Et s’il finissait comme lui, en animal débusqué d’un trou, hirsute et humilié, avant d’être exécuté ? Il regarde en boucle les images sur son magnétoscope.
Quatre jours plus tard, la Libye renonce à ses programmes d’armes de destruction massive. Washington lui a promis deux récompenses. D’abord la retirer de la liste des Etats terroristes. Accordé. La seconde est un de ces symboles dont le Guide est friand : la visite de Condoleezza Rice à Tripoli. Elle ne viendra jamais. Quelques chefs d’Etat défilent, certes, sous la tente du Guide; mais ils gardent l’œil rivé sur leur montre, et surtout évitent de lui rendre l’invitation. Il n’a droit qu’à une brève virée à Bruxelles, à la Commission européenne. «Kadhafi s’estime lésé, dit un diplomate. Il trouve que la Libye a perdu le match allé. B veut le match retour», un démenti cinglant à ceux qui l’accusent d’avoir cédé sans rien obtenir.
Que lui reste-t-il entre les mains ? Cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien. Plus question de faire appel aux Etats-Unis. Ni à l’Allemagne, trop prudente, ou au Royaume-Uni, qui refuse de libérer un des accusés de Lockerbie. Quant à l’Union européenne, qui négocie dans ce dossier depuis sept ans, elle ne vend rien.
Reste la France. Les six prisonniers ont déjà attiré l’attention de Nicolas Sarkozy : en janvier 2007, encore candidat, il a rencontré secrètement l’avocat français des Bulgares, Emmanuel Altit.
Sarkozy aime les causes médiatiques, qu’il peut raconter comme des histoires, entre méchants et gentils, victimes et sauveurs. Maintenant qu’il est élu, il cherche aussi «un machin à faire pour Cécilia». Elle se voyait conseillère régionale, députée peut-être. Lui n’a pas voulu. Pourquoi pas Madame Otages, un sourire humanitaire à la Lady Di avec, en plus, quelque chose de «Drôles de dames» ? Douze jours après l’arrivée à l’Elysée, le contact est pris avec Tripoli.
Le 11 juillet, la Cour suprême libyenne confirme la condamnation à mort des prisonniers. Il ne leur reste qu’un recours, le pardon des familles de Benghazi, à condition que soit négocie le prix du sang. Moussa Koussa appelle Guéant. «Les choses sont mûres.»
Le 12 juillet, les Français débarquent à Tripoli. L’idée a pris la forme d’un voyage, ou plutôt d’un raid. «C’est comme ça qu’on a fait campagne : on choisit un objectif et on se donne les moyens», dira plus tard Guéant. Depuis son passage Place-Beauvau, l’équipe rapprochée de Sarkozy n’a qu’un prisme pour aborder le monde : la DST et ses réseaux. Pour le reste, seule compte l’intuition du patron.
Avant chacun des voyages en Libye, le couple Sarkozy va s’enfermer en tête à tête. Ils ressortent avec une sommation, qu’ils ne prennent pas la peine d’expliquer : «Elle part dans quelques heures.» On ignore superbement le Quai d’Orsay. «Pis, je crois qu’on l’oublie», dit un proche. Dans l’entourage du président, il est de bon ton de se moquer des diplomates, «qui font perdre du temps». Ou, plus rédhibitoire : «Vous ne les trouvez pas ringards ?»
A Tripoli, l’ambassadeur de France, JeanLuc Sibiude, apprend le voyage juste avant le décollage de l’avion Le «commando Cécilia» est composé de Guéant, bien sûr, et de Boris Boillon, conseiller du président, seul à connaître la région et à parler l’arabe. Retour prévu le 14 juillet, forcément victorieux. A Tripoli, Kadhafi les reçoit en son théâtre, assis sous sa tente bédouine face aux ruines de son ancien palais, détruit par les bombardements américains de 1986. Il leur parle du peuple, qui crie vengeance, de la culpabilité des Bulgares, d’une visite obligatoire aux enfants de Benghazi pour quiconque évoque les prisonnières. Bref, il se montre inflexible. C’est la déception, même Guéant l’admet : «Nous nous attendions à un accueil plus encourageant.»
Abderrahmane Chalgham, ministre libyen des Affaires étrangères, se souvient de cette première rencontre : «Elle pensait qu’elle pouvait simplement venir ici, parler avec le Guide, presser un bouton, et que tout allait se résoudre.» Face au pouvoir libyen, avec ses hiérarchies en trompe l’œil, ses équilibres féroces et subtils entre les strates du pouvoir, la petite équipe ne connaît qu’un nom : Moussa Koussa.
L’accueil est moins rude le soir même, après le pèlerinage à Benghazi. Le «commando» tente d’improviser une offre «tombée du ciel». Il s’agit d’équiper le nouvel hôpital des enfants malades, ce qui apporterait une touche humanitaire. Claude Guéant griffonne sur son calepin. «Boris, combien ça fait ?» Réponse : 30 millions d’euros. Sous serment, les conseillers jureront devant la commission parlementaire que ce fut la seule contrepartie.
Le «commando» rentre bredouille, sous un feu de critiques. A Tripoli, Marc Pierini, diplomate européen, n’a lui aussi appris l’expédition que par hasard. Cela fait deux ans et demi qu’il ferraille au nom de Bruxelles. A Benghazi, il se déplace avec quatre gardes du corps. Les réunions avec les familles des malades sont si violentes que l’exécution du médecin palestinien est envisagée un temps à Tripoli pour calmer l’opinion. L’Union européenne accuse Paris de «vouloir retirer du feu un gâteau cuisiné par d’autres».
A l’Elysée, on doit changer de méthode. Appeler Bruxelles. Recevoir Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne chargée des relations extérieures. Proposer qu’elle soit du prochain voyage. Et pendant ce temps, miracle ! Les pourparlers avec les familles de Benghazi se débloquent.
C’est à travers cette question des indemnités qu’apparaît le mieux le jeu de Kadhafi. Toutes ses exigences s’organisent en fonction d’«un désir de symétrie par rapport à ce qu’il estime avoir lui-même enduré au moment del’embargo», dit Pierini.
Premier symbole, donc, le montant des indemnités. De 10 millions de dollars par enfant contaminé, les parents ont accepté de transiger à 1 million. «On passe du tarif de Lockerbie à celui d’UTA : c’était forcément l’un ou l’autre», décrypte Boris Boillon.
La provenance de l’argent crée une deuxième surprise. L’émir du Qatar a-t-il offert de payer ? Etrangement, l’Elysée, si prompt à démentir toute contrepartie, entretient la rumeur. Or, derrière ce paravent, il s’avère que c’est le régime de Kadhafi, via un fonds public libyen de développement, qui alimente lui-même le compte d’indemnisation pour Benghazi, créé par l’UE à Tripoli.
Mais que représentent 461 millions de dollars, avec l’envolée du cours du pétrole, quand il s’agit de laver les affronts ? «L’aspect financier est à la fois totalement indispensable et totalement secondaire», résume Boillon. Pierini pousse plus loin : «En y regardant bien, le paiement de ces dédommagements va à l’encontre des intérêts vitaux du régime.» A Benghazi, ville réputée rebelle, une infime partie du dédommagement permettrait d’armer de kalachnikovs l’ensemble de la population. Pierini reprend : «Kadhafi s’en moque : il y va de sa conception de l’honneur.»
Pendant deux mois, cet automne, la commission d’enquête parlementaire à Paris va tenter de tirer au clair ce qui s’est négocié entre Paris et Tripoli. Les uns après les autres, documents en main, des industriels vont expliquer aux députés que les contrats pour les missiles antichars Milan 3 ou la maintenance de Mirage F1 avaient été lancés dès 2006. «L’affaire des infirmières a juste créé un climat favorable pour les finaliser : ça se passe toujours comme ça», dit un dirigeant d’EADS.
La véritable revendication de Kadhafi se trouve ailleurs. A quoi bon acheter du matériel si, à la moindre crise, il ne peut plus obtenir de pièces de rechange ? Et le Guide raconte inlassablement l’histoire de ses Mirage achetés au temps de Pompidou qui ont fini au hangar pour cause d’embargo.
En matière de défense, il veut les garanties d’une coopération dans la durée, indépendante des aléas politiques, avec à terme sa propre industrie de défense. Un accord de défense va être bouclé en catastrophe entre le 10 et le 23 juillet. Il n’est ni rédigé ni signé par Hervé Morin, le ministre de la Défense. Là encore, l’Elysée a tout verrouillé.
Quant à l’atome, les Libyens n’ont que ce mot à la bouche depuis le démantèlement de leur propre équipement. «Nous leur avons expliqué qu’une centrale ne s’achète pas sur une étagère», dit Anne Lauvergeon, d’Areva, leader mondial du secteur. Une timide expérience balbutie depuis 2004 pour la désalinisation de l’eau de mer, près de Tripoli, grâce à un petit réacteur civil russe de 10 mégawats datant des années 1970. Il va servir de base à une renégociation, et surtout à un changement d’échelle. Depuis son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy est décidé à vendre l’EPR réacteur dernier cri de 1 600 mégawatts, à tout pays arabe qui ne flirte pas avec la bombe. On fait passer le message à Tripoli fin juin. Nouveau mémorandum, là aussi écrit à la hâte.
Dernier élément, peut-être le plus important, Sarkozy est prêt à offrir au colonel ce que Chirac lui a toujours refusé : une visite officielle à Paris, aussi longue et fastueuse qu’il le désire.
Le «commando» débarque à nouveau en Libye le 22 juillet, sans invitation cette fois. Après la visite de Benghazi, le Guide impose pour ce second séjour celle d’un site archéologique. La frustration monte. Elle retombe un peu, le lendemain, quand Kadhafi donne enfin un accord de principe avant de renvoyer tout le monde à l’hôtel Corinthia.
Dans un fauteuil du bar, Cécilia Sarkozy s’est mise à envoyer des textos sur son Black-Berry. Elle est de plus en plus nerveuse. Depuis qu’elle est arrivée en Libye, personne ne l’a jamais vue lâcher son portable, «même pour serrer la main». Vers 18 heures, le Premier ministre, Baghdadi el-Mahmoudi, les rejoint. «Les choses iront moins vite que prévu.» L’homme, tout empreint de sa haute fonction, a un certain âge. «Cécilia Sarkozy s’est mise à l’engueuler. Elle criait qu’elle était là depuis trente heures et qu’il était temps de partir. Résultat : ils l’ont fait lanterner», raconte un observateur. Toutes les quinze minutes, les Libyens inventent de nouvelles exigences. Cécilia Sarkozy a de plus en plus de mal à se calmer. «Je ne suis pas là pour négocier, je suis venue ramener les infirmières.» Les Libyens exigent maintenant une escorte de policiers bulgares pour les prisonnières. Il n’y en a pas à Tripoli. Pierini demande : «Des Français, ça irait ?» Accepté. Les deux gendarmes de l’ambassade sont réquisitionnés. Vers 3 heures du matin, tout le monde part vers l’aéroport. Toujours rien.
Pour la première fois, Cécilia Sarkozy semble se rendre compte de la présence de l’ambassadeur de France, qui marche depuis deux jours sur ses talons. Elle lui ordonne : «Allez chercher les infirmières.» L’expédie à la prison avec un de ses gardes du corps. Contrairement au «roman de Cécilia», ils reviennent seuls. Peu avant 6 heures, les infirmières et le médecin apparaissent enfin entre deux gendarmes français.
La tempête qui les attend à Paris est pire pour ce voyage victorieux que pour celui qui ne le fut pas. Boillon s’en étrangle encore : «Dire qu’on a risqué notre vie, et on a l’impression de se faire conspuer !» Des polémiques éclatent sur tout, les contrats, la visite de Kadhafi à Paris. Cécilia Sarkozy veut s’expliquer. Son mari le lui interdit, «pour la protéger». Elle se braque. «Elle s’enferme tout à fait, selon un observateur. Elle disait qu’elle n’y croyait plus. Elle répétait : «Me faire traiter comme ça, alors que j’ai arraché ces femmes à la mort !»»
Le plus vibrant hommage à son action va émaner paradoxalement du président de la commission d’enquête, Pierre Moscovici (PS) : «Nous n’avons pas pu l’auditionner. C’est un scandale !» Les onze députés socialiste
s se sont abstenus de voter le rapport final.
14 février 2008
En janvier dernier, l’US Air Force larguait 50 tonnes de bombes sur Arab Jabour, dans la banlieue de Bagdad. 50 tonnes, c’est la quantité de bombes qui avaient écrasé Guernica, nous rappelle Tom Engelhardt, qui dénonce la banalisation de l’usage de l’arme aérienne sur les zones civiles. Cette tactique barbare est en train de se généraliser, dans l’indifférence générale, contre les insurrections irakienne et afghane.
Un article de Ned Parker et de Saif Rasheed paru dans le Los Angeles Times du 21 Janvier, débute par le récit d’un attentat suicide inter-ethnique durant un rassemblement à Fallujah où furent tués des membres du « Conseil du Réveil d’Anbar » pro-américain. (« Répondant à la question pourquoi un membre de sa tribu Albu Issa en assassinerait un autre, Aftan, un témoin, fit le rapprochement avec les tueries dans les lycées aux États-Unis »). 26 paragraphes plus tard, l’article se finissait ainsi :
« Les militaires américains déclarent dans un communiqué qu’ils ont largué 10 tonnes de bombes sur les terres agricoles d’Arab Jabour dans le sud de Bagdad. Les frappes ciblaient des explosifs artisanaux enterrés et des caches d’armes. »
« Ces 10 derniers jours, les militaires ont largué pas loin de 50 tonnes d’explosifs dans cette zone, considérée auparavant comme un point passage vers Bagdad pour les militants sunnites. »
Et voici le paragraphe 22 d’un article qui en compte 34 dans le NY Times du 22 Janvier, rédigé par Stephen Farrel :
La menace posée par les explosifs artisanaux enterrés était notoire avant l’opération [d’Arab Jabour]. Afin d’assainir la zone, les militaires ont largué près de 50 tonnes de bombes afin de détruire caches d’armes et EEI (engins explosifs improvisés).
Farrel débute son article en rapportant la mort d’un soldat américain à Arab Jabour lorsqu’un EEI détruisit un MRAP, un nouveau véhicule « résistant aux mines et protégé contre les embuscades » sur lesquels comptent les militaires américains pour réduire les pertes causées par les bombes placées au bord des routes en Irak.
Notez que les deux articles commencent par des informations au sujet d’explosions – dans un cas, un attentat suicide tuant plusieurs irakiens, dans l’autre une bombe dissimulée qui tue un soldat américain et en blesse plusieurs autres.
Mais l’information la plus importante, celle des bombardements de ces derniers jours, celle des 50 tonnes d’explosifs que les avions américains ont largué sur une petite zone au sud de Bagdad, est simplement annoncée sans autre commentaire à la toute fin de l’article du LA Times, et expédiée en une seule phrase dans le NY Times .
Aucun article n’est revenu – pour autant que je le sache – sur le sujet, alors que c’est indubitablement l’utilisation la plus massive de frappes aériennes en Irak depuis l’invasion de l’administration Bush en 2003 et qu’il s’agit manifestement un sérieux changement de la stratégie militaire américaine dans ce pays. Malgré quelques dépêches routinières, personne dans les médias de masse n’a pris la peine de couvrir l’événement convenablement.
Pour ceux qui connaissent un peu l’histoire de l’arme aérienne, qui est au coeur de la stratégie guerrière américaine depuis la Seconde Guerre Mondiale, ce chiffre de 50 tonnes aurait dû leur mettre la puce à l’oreille.
Le 27 avril 1937, en pleine Guerre Civile en Espagne (un prélude à la Seconde Guerre), les avions allemands de la Légion Condor attaquèrent la ville historique de Guernica, au pays basque. Les premières vagues pilonnèrent le village, les suivantes l’incendièrent. C’était jour de marché et il y avait dans la ville, qui a été largement détruite dans cette tempête de feu, entre 7 000 et 10 000 personnes, dont des réfugiés.
Plus de 1600 personnes seraient mortes ce jour là (certaines estimations sont inférieures à ce chiffre). Les allemands auraient largué alors environ 50 tonnes de bombes dans la ville.
Durant les soixante-dix ans séparant ces deux chiffres de « 50 tonnes, » c’est une sombre page d’histoire de notre temps qui s’est écrite.
Arab Jabour, la communauté agricole sunnite située à environ 7 kilomètres de la capitale irakienne, qui a été la cible de ce dernière bombardement de 50 tonnes d’explosifs, était encore récemment largement en dehors des limites d’opérations des troupes américaines et alliées. Les militaires américains désignent systématiquement tout insurgé sunnite résistant comme appartenant à Al Qaeda, et dans une telle situation, il est difficile de dire exactement qui occupait cette zone.
A Guernica, comme à Arab Jabour 71 ans plus tard, aucun reporter n’était présent lorsque les bombes tombèrent. Dans le cas espagnol, pourtant, 4 reporters présents dans la ville proche de Bilbao, dont George Steer du Times de Londres, se rendirent rapidement sur le lieu des destructions. Le premier article de Steer pour le Times (également publié dans le New York Times) titrait « la Tragédie de Guernica » et qualifiait l’assaut de « sans précédent dans l’histoire militaire ». (Évidemment, une telle annonce ne saurait être faite dans le cas d’Arab Jabour aujourd’hui.) Steer insistait dans son article sur le fait que c’était une attaque sur la population civile, essentiellement un bombardement destiné à répandre la terreur.
La barbarie évidente de cet événement, le premier bombardement de population civile largement médiatisé, provoqua l’horreur de la communauté internationale. C’était sans précédent pour l’ensemble de la planète. Il inspira sans doute la peinture la plus connue du siècle dernier, le Guernica de Picasso, ainsi que d’innombrables romans, pièces de théâtre, poèmes, et autres oeuvres d’art. Ian Patterson écrit dans son livre Guernica and Total War
« Bien des attaques depuis lors, notamment celles que nous nous sommes habitués à voir en Irak et au Moyen-Orient ces dernières années, ont été d’une telle échelle que le destin de Guernica nous parait presque insignifiant en comparaison. Cependant il est pratiquement impossible de surestimer l’outrage que cela a causé en 1937… Des témoignages du bombardement ont été largement publié dans la presse américaine et ont provoqué une véritable colère et indignation dans la plupart des communautés… »
Les deux derniers paragraphes cités ci-dessus de l’article de Parker et de Rasheed du LA Times en disent long sur les 71 années écoulées, qui ont vu se dérouler le bombardement allemand de Rotterdam et l’attaque éclair sur Londres et sur d’autres villes britanniques ; le bombardement japonais de Shanghai et sur d’autres villes chinoises ; les bombardements incendiaires sur des villes allemandes et chinoises ; la destruction nucléaire américaine d’Hiroshima et de Nagazaki ; la Guerre Froide et sa « Destruction Mutuelle Assurée » ( ndt : en anglais MAD : fou) pour laquelle les deux super-puissances menacèrent d’utiliser l’arme ultime pour vitrifier la planète ; la campagne de bombardement américaine, considérable pendant plusieurs années contre la Corée du Nord et plus tard sur le Nord et le Sud Vietnam, le Laos et le Cambodge ; les victoires aériennes américaines de la première Guerre du Golf et en Afghanistan (2001) ; et l’assaut « Shock and Awe » aux missiles Air-Sol et Mer-Sol de l’administration Bush sur Bagdad en mars 2003, qui, alors qu’il devait « décapiter » le régime de Saddam Hussein, ne tua pas un seul membre du gouvernement irakien ni aucune figure du parti Baas, mais seulement des civils irakiens. Lors de ces sept décennies, les pertes humaines et les dommages causés par la guerre, au sol ou dans les airs, ont été subies de plus en plus par les populations civiles, alors que les États-Unis sont devenus dépendant de l’Air Force pour imposer sa volonté dans la guerre.
Aujourd’hui, en regard de cette histoire, « 50 tonnes » de bombes sont un chiffre relativement modeste. Pendant l’invasion d’Irak en 2003, une seule escadrille de l’USS Kitty Hawk, un porte-avion positionné dans le Golf Persique, faisait ce genre de dégât en moins d’une journée et c’était, comme la semaine dernière encore, une performance que les militaires était fiers de communiquer sans craindre l’indignation internationale ou que l’idée de « barbarie » puisse venir à l’esprit :
« Entre mercredi matin et jeudi après-midi, l’escadrille a accompli 69 missions de frappes sur Bassora, sur et autour de Bagdad, mobilisant 27 F/A-18 Hornets et 12 Tomcats. Ils ont largué près de 50 tonnes de bombes, déclarait le lieutenant Brook DeWalt, officier des relations publiques du Kitty Hawk. »
Pour ce qu’on en sait, il n’y avait aucun journaliste irakien ou occidental, à Arab Jabour quand les bombes tombèrent, et l’Irak étant ce qu’il est, aucun journaliste américain ne s’y précipita, en personne ou via un téléphone satellite, pour aller vérifier les dommages.
En Irak et en Afghanistan, lorsqu’elle parvient aux médias de masse, une explosion n’est en général significative que si c’est une attaque par bombe artisanale ou une attaque suicide quelconque. Les médias sont intéressés par ces bombes qui peuvent être produite pour environ “le prix d’une pizza” (comme certaines EEI le sont), ou si les véhicules les transportant sont des voitures ou simplement des corps humains diaboliquement harnachés. Mais lorsqu’elles tombent du ciel, même 50 tonnes de bombes n’ont tout simplement aucune importance.
Cela provient en partie du succès du Pentagone à créer un langage anesthésiant et déresponsabilisé pour formuler la guerre aérienne. « Dommages Collatéraux » remplace la mort de civils, même si en règle général dans une guerre moderne, le dommage collatéral devrait être considéré comme étant celui des soldats tués, et non pas le pourcentage toujours grossissant des pertes civiles. Et la mort, évidemment, est administrée « précisément » par des armes « guidées et de précision ». Tout cela donne à la guerre aérienne l’apparence d’une guerre propre, voire innocente. Le Colonel Terry Ferrel, par exemple, décrivit à la conférence de presse de Bagdad les attaques aériennes sur Arab Jabour d’une manière tout-à-fait détachée :
« Le but de ces attaques était de préparer le champs de bataille et d’éliminer les menaces notoires avant que les troupes au sol l’investissent. Notre but était de neutraliser tous les avantages dont l’ennemi aurait pu bénéficier grâce à l’utilisation d’EEI et d’autres armes. »
Des témoignages, dont la crédibilité est souvent difficile à établir, ont malgré tout filtré hors de la région, indiquant qu’il y avait des pertes civiles, possiblement en nombre significatif ; que des ponts et des routes étaient “coupés” et sans aucun doute endommagés ; que les fermes et les terres étaient endommagées ou détruites. Selon Hamza Hendawi d’Associated Press, il semblerait que les troupes irakiennes et américaines avançaient à travers les « citronneraies calcinées » d’Arab Jabour, déjà sérieusement détruite par des années de combats,
Mais comment n’y aurait il pas de pertes civiles et des dégâts matériels ?
Après tout, l’explication officielle pour cette mini-version de la campagne « shock and Awe » dans une petite région agricole est que les troupes américaines et les forces alliées irakiennes avaient été absentes de cette zone durant un temps, et que le bombardement était supposé détruire les infrastructures locales, en frappant les bombes artisanales et les caches d’armes ou les pièges laissés dans les structures existantes. Comme le précise la phrase « éliminer la menace notoire avant que les troupes au sol n’avancent » , c’était une tentative pour minimiser les pertes parmi les troupes américaines (et les alliés irakiens) en délivrant une énorme puissance de feu pour faire face à une situation où les informations sur place étaient au mieux éparses. Avec un tel scénario, les civils seront toujours victimes.
Mais c’est pourtant vers quoi semble se diriger la stratégie américaine en Irak.
Peut-être le moment est-il venu pour Seymour Hersh d’aller y voir à nouveau. Ou pour la communauté mondiale de l’Internet de se saisir du sujet. Peut-être, tôt ou tard, les journalistes des grands médias américains en Irak (et leurs rédacteurs en chefs aux États-Unis) finiront effectivement par tourner leurs regards vers le ciel, y remarqueront ces traînées laissées par les jets, constateront l’impact de ces bombes et de ces missiles de « précision », et se demanderont si l’on a réellement à faire à une période monotone et routinière lorsque l’US Air Force lâche 50 tonnes d’explosifs sur une zone agricole aux portes de Bagdad. Peut-être des artistes commenceront à nouveau à exprimer leur indignation sur la vraie nature de la guerre aérienne dans des oeuvres d’art, dont une au moins deviendra iconique et voyagera à travers le monde pour nous rappeler simplement ce que la « libération » d’Irak, après 5 ans, a vraiment signifié pour les irakiens.
Cet article fait suite au premier volet de l’étude sur la guerre aérienne publiée par M. Engelhardt.
Considérons un instant la puissance aérienne américaine en Irak et rassemblons quelques informations rarement rapprochées. Ces dernières années, le Pentagone a investi des milliards de dollars pour construire les infrastructures nécessaires au déploiement de sa puissance aérienne en Irak et alentour. Pour commencer, il a construit l’une de ses plus grosses bases de toute la planète hors États-Unis à environ 80 kilomètres au nord de Bagdad. La base aérienne de Balad a été décrite par Newsweek « comme une mini-ville rectangulaire de 10 kilomètre de côté avec des milliers de remorques et de dépôts de véhicule », dont l’aéroport accueille 27 500 décollages et atterrissages par mois.
Réputée venir en « seconde place seulement sur l’échelle du trafic mondial après l’aéroport Heathrow de Londres », elle pourrait supporter un trafic semblable à l’aéroport international O’Hare de Chicago. Avec environ 140 000 tonnes de marchandises par an, la base est l’aéroport le plus fréquenté parmi ceux relevant de par le monde du Département de la Défense.
C’est également la résidence d’environ 40 000 personnels militaires, contractuels privés et employés civils du Pentagone. Elle possède ses propres lignes de bus, ses établissements de restauration rapide, ses rues, ainsi que deux « PX », ces supermarchés réservés aux militaires qui ont la taille des implantations de K-Marts, la chaîne de grande distribution américaine. Selon Thomas Ricks du Washington Post, elle possède également des quartiers résidentiels comme “KBR-land’ pour les contractuels civils et “CJSOTF” (Force d’opération spécial combinée), « résidence d’une unité d’opérations spéciales, dissimulée par des murs particulièrement hauts ».
Les contrôleurs aériens de la base voient gèrent quotidiennement « plus de 550 opérations aériennes pour un seul jour ». Pour un montant qui se chiffre en milliards de dollars, les pistes de Balad et les autres équipements ont été modernisés – et continuent de l’être, pour plusieurs années d’utilisation intensives. Selon la presse militaire, la rénovation devrait commencer ce mois-ci avec un système ultra-moderne de contrôle et de commandement du champs de bataille qui intégrera toute la gestion du trafic aérien au-dessus de l’Irak.
Le correspondant à la Défense de la National Public Radio, Guy Raz a effectué une visite de la base l’année dernière et l’a qualifiée en ces termes : « un immense site de construction…, les bruits des chantiers et les vrombissements des générateurs accompagnent partout les visiteurs. Vue de nuit depuis le ciel, la base ressemble à Las Vegas : Alors que les villages aux alentours ne reçoivent que 10 heures d’électricité par jour, les lumières ne s’éteignent jamais sur la Base aérienne de Balad ».
Cette construction aux dimensions gigantesques a été conçue pour un usage à long terme. Comme Josh White du Washington Post l’écrivait récemment dans l’un des articles relativement rares (et peu incisifs) traitant de l’utilisation de la puissance aérienne en Irak, il y a eu 5 fois plus de frappes en 2007 qu’en 2006 ; et 2008 a débuté de façon retentissante, littéralement, avec ces 50 tonnes de bombes lâchées au sud-est de Bagdad. Ce chiffre semble inclure les 20 tonnes de bombes qui ont fait les gros titres pour avoir été larguées en à peu près 10 minutes sur la zone d’Arab Jabour la semaine précédente, mais pas les 8 tonnes de bombes que White déclare avoir été utilisées au nord de Bagdad à la même période environ ; ni évidemment les 7,5 tonnes de bombes visant Arab Jabour plus récemment. (Et aucun de ces chiffres ne semble inclure ceux qui relèvent des opérations menées par les Marines [1], qui n’ont évidemment pas été publiés.)
Comment pourrait-on oublier l’attention extrême qui a été portée sur la stratégie d’escalade du Président au début de l’année dernière ? Mais quel média a, ne serait-ce que noté, même récemment, ce que Bob Deans du Cox News Service a qualifié d’ “escalade aérienne” qui a accompagné les 30 000 troupes en renfort dans la capitale irakienne et alentour ? Au même moment, les unités aériennes étaient de plus en plus concentrées dans et autour de l’Irak. Par exemple, à la mi-2007, Associated Press rapportait déjà :
« Des escadrilles d’attaque sont venues s’ajouter à la flotte déjà basée dans le pays. La force de reconnaissance aérienne a été pratiquement doublée depuis l’année dernière. De puissants bombardiers B1-B ont été rappelés au combat sur l’Irak… Plus tôt cette année, l’Air Force a envoyé discrètement une escadrille d’avions d’attaque A10 “Warthog”, soit une douzaine ou plus d’appareils, qui seront déployés à la base aérienne d’Asad dans l’ouest de l’Irak. Dans le même temps, elle a ajouté une escadrille de F-16C Fighting Falcon… à Balad ».
Dans le même temps, l’an passé, des porte-avions accompagnés des navires de leurs groupes de combat on été stationnés dans le Golf Persique et les équipements des sites proches de Bagdad comme l’énorme base d’Al-Udeid au Qatar continuent d’être modernisés.
La description de cet accroissement des forces ne dit pourtant pas tout sur l’intensification de la guerre aérienne. Lolita Baldor de Associated Press a récemment rapporté que « L’utilisation par les militaires des drones qui savent espionner, chasser et parfois tuer des insurgés a dépassé les 500 000 heures de vol, la plupart au dessus de l’Irak. » L’utilisation de ces « engins aériens sans pilote » (UAV), incluant des Predators armés de missile Hellfire, a doublé au cours des dix premiers mois de 2007- les heures de vol des Predators augmentant de 2000 à 4300. selon Baldo. L’armée de terre à elle seule dispose maintenant de 361 drônes actifs en Irak. A l’avenir, ils devraient être beaucoup plus nombreux.
Les portes parole militaires américains et les membres du gouvernement ont pendant des années stigmatisé les insurgés irakiens et afghans, leur reprochant de se cacher derrière les populations civiles, et les accusant à la fois d’immoralité et de lâcheté. Quand de tels portes parole admettent infliger des « dommages collatéraux » sur les populations civiles, ils reprochent aux combattants d’utiliser les civils en « boucliers ». Et tout cela est régulièrement et consciencieusement relaté par notre presse. Par contre, personne ici ne considère l’utilisation de drones de la même façon, tandis que les UAVs comme les Predators ou le plus récent Reapers, beaucoup plus lourdement armé, sont généralement pilotés par des opérateurs stationnés sur des consoles informatiques situés par exemple à la base Nellis de l’Air Force à proximité de Las Vegas. C’est de là qu’ils lancent leurs missiles contre des « force anti-irakiennes » ou contre des talibans, entraînant des morts civiles en Irak comme en Afghanistan.
Ainsi que le disait un pilote américain qui a tiré des missiles de Predator de Nellis :
« Je reviens de la gym et je pénètre en Afghanistan, ou en Irak… Ça prend du temps de s’y habituer. A Nellis, vous devez vous rappeler constamment, “je ne suis pas à Nellis. Quoi que ce soit ce que je faisais il y a 30 minutes, comme parler à ma banque, ça n’est plus important. »
Au reporters américains, cela ne semble n’être ni lâche, ni en aucun cas barbare, juste tout ce qu’il y a de plus normal. Personne ne dit que ces pilotes se cachent dans des déserts éloignés ou parmi la population civile des joueurs du Caesar’s Palace.
Quoi qu’il en soit, l’équation qui sous tend cette situation est celle-ci : militairement, les forces américaines, utilisées à l’excès, ne peuvent pas soutenir l’effort de l’escalade sur le terrain beaucoup plus longtemps. La plupart des 30 000 hommes, si ce n’est tous, qui ont déferlé en Irak dans la première moitié de 2007 vont bientôt rentrer au pays. Mais la force aérienne restera. Le personnel de l’Air Force dans la région est déployé selon un planning de rotations courtes. Au Vietnam, à la fin des années 60 et au début des années 70, au moment où les troupes au sol étaient évacuées, la puissance aérienne augmentait. Il semble que ce soit le même schéma à nouveau. Il y a toutes les raisons de croire que ce schéma décrive le futur de la présence américaine en Irak.
De la Barbarie à la Norme
La guerre aérienne n’est tout simplement pas visible pour la plupart des américains qui dépendent des médias de masse. C’est en partie parce que les reporters américains qui couvrent tous les autres types d’engagements en Irak refusent simplement de lever le nez.
Il ne faut donc pas être surpris que la possibilité d’une escalade de la guerre aérienne ait été évoquée en premier par un journaliste qui n’avait jamais mis les pieds en Irak ni de ce fait s’être interdit de tourner son regard vers le ciel. Dans un article de décembre 2005, titré « Haut dans le ciel », le journaliste d’investigation Seymour Hersh suggéra qu’un « élément clé de tout plan de désengagement, pourtant ignoré dans les déclarations publiques du Président, était que le départ des troupes américaines serait compensé par la puissance aérienne américaine… Le danger , me disaient des experts militaires, était que tandis que le nombre des pertes américaines se réduirait avec le retrait des troupes au sol, le degré général de violence et le nombre de pertes irakiennes augmenterait, à moins qu’il y ait un contrôle rigoureux de qui bombarde quoi. »
Après que Hersh ait publié son article, le silence fut assourdissant. Que je sache, un seul reporter, est allé à bord d’un avion – David S. Cloud du New York Times, qui a volé dans un B-1 d’un « aéroport du Moyen-Orient » non identifié, lors d’une mission en Afghanistan. Thomas Ricks s’est rendu dans la base aérienne de Balad et fit un excellent rapport en 2006, mais aucun reporter ne semble avoir pris la peine de discuter avec des pilotes américains, et aucun des résultats des bombardements, tirs de missile, mitraillages à basse altitude n’a vraiment été enregistré dans la presse. La guerre aérienne est encore largement reléguée à des évocations sommaires de raids, basées sur les communiqués de presse et les annonces du Pentagone dans des résumés des nouvelles quotidiennes en provenance d’Irak.
Au vu de l’histoire militaire américaine depuis 1941, il y a là quelque chose d’étrange. Une patrouille de marine saccageant un village irakien peut en effet faire un titre ; mais des bombes américaines ou des missiles mettant une partie de la ville en ruine ou les mitrailleuses d’un hélicoptère dévastant un village est, au mieux, un sujet noyé dans la masse — un paragraphe ou deux comme dans ce reportage AP sur les récents combats dans une partie indubitablement dense de la ville de Mosul :
« Un officier, s’exprimant sous anonymat car il n’a pas été autorisé à divulguer cette information, déclare que trois civils ont été blessés et que des hélicoptères ont bombardé des immeubles dans le quartier Sumar au sud-est, lieu de fréquentes attaques contre les forces US et irakiennes, ce qui les a amené à y conduire une série de raids ».
Les résultats dévastateurs et prévisibles d’hélicoptères « bombardant » un quartier urbain dans une grande ville irakienne, si ils sont rapportés, seront traités simplement comme un « dommage collatéral, » allant de soi durant la guerre telle que nous la connaissons. Chez nous, ce qui était auparavant la barbarie de la guerre aérienne, sa véritable horreur, a été transformé en une monotonie ordinaire (ceci à condition bien entendu de n’être ni afghan ni irakien pris sous ces bombes), qui ne fait l’objet que de communiqués de presse de l’Air Force largement ignorés. C’est tout aussi insignifiant (et tout aussi américain) qu’une tarte au pomme, et ne mérite certainement pas d’être raconté à maman et aux enfants.
Peut-être le moment est-il venu pour Seymour Hersh d’aller y voir à nouveau. Ou pour la communauté mondiale de l’Internet de se saisir du sujet. Peut-être, tôt ou tard, les journalistes des grands médias américains en Irak (et leurs rédacteurs en chefs aux États-Unis) finiront effectivement par tourner leurs regards vers le ciel, y remarqueront ces traînées laissées par les jets, constateront l’impact de ces bombes et de ces missiles de « précision », et se demanderont si l’on a réellement à faire à une période monotone et routinière lorsque l’Air Force US lâche 50 tonnes d’explosifs sur une zone agricole aux portes de Bagdad. Peut-être des artistes commenceront à nouveau à exprimer leur indignation sur la vraie nature de la guerre aérienne dans des oeuvres d’art, dont une au moins deviendra iconique et voyagera à travers le monde pour nous rappeler simplement ce que la « libération » d’Irak, après 5 ans, a vraiment signifié pour les irakiens.
D’ici là, accrochez vous. La guerre aérienne continue.
Notes de lectures sur la guerre aérienne, par Tom Engelhardt :
Nicolas Sarkozy a eu raison de choisir comme terrain d’intervention publique le droit, la nouvelle loi sur la rétention de sûreté et les moyens de la mettre en œuvre après la décision du Conseil constitutionnel du 22 février. Il a eu raison de choisir ce domaine, parce qu’il relève par nature du domaine présidentiel. Les Français attendent de lui qu’il cesse d’être un candidat en campagne pour devenir un président en fonction. Qu’il cesse d’être ministre de tout pour devenir président de l’essentiel. Ils ne lui demandent pas des nouvelles de sa situation amoureuse, pas davantage de trancher le conflit des taxis, encore moins d’instaurer des obligations mémorielles à l’école primaire. Cette fois, donc, le Président ne s’est pas trompé de terrain. Mais il s’est trompé sur tout le reste, commettant trois erreurs et une faute.
Première erreur, la décision du Conseil constitutionnel aurait dû le combler. Le pouvoir en place ne pouvait guère espérer meilleur résultat. Il était en effet quasi inespéré que le juge constitutionnel accepte l’instauration de la possibilité d’un enfermement à vie après avoir purgé sa peine, sans avoir commis le moindre nouvel acte répréhensible, sans avoir fait preuve d’un comportement effectivement dangereux, pour soi ou pour autrui. Il l’a fait en estimant qu’un tel enfermement n’est «ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition». A se demander ce qui serait une peine ou une sanction punitive. Et il était obligé de se livrer à cet audacieux déni de qualification, sans quoi la loi eût été contraire aux principes fondamentaux du droit pénal, consacrés dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : nul ne peut être puni s’il n’a commis un délit. Le chef de l’Etat aurait dû se réjouir d’un sophisme qui permettait à la loi par lui voulue d’entrer un jour, au moins partiellement, en vigueur.
Deuxième erreur, non content de s’offusquer de la décision du Conseil en son for intérieur, il fait part de son dépit. Et non content de s’en tenir là, il cherche le moyen de ne pas la respecter, et d’imposer quand même une application immédiate pleinement rétroactive, bien que le Conseil constitutionnel l’ait déclarée contraire à la Constitution. En mettant ainsi en cause une décision du juge constitutionnel suprême dans les vingt-quatre heures qui suivent son prononcé, le chef de l’Etat oublie (pour employer un euphémisme) l’article 62 de la Constitution, selon lequel «les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles». Il oublie également (autre litote) l’article 5 de notre loi fondamentale, qui dispose que «le président de la République veille au respect de la Constitution».
Troisième erreur, au lieu de demander discrètement au ministre de la Justice de rechercher d’autres solutions pour les criminels déjà condamnés, le chef de l’Etat s’adresse publiquement au premier président de la Cour de cassation. Ce faisant, il risque d’instituer ce dernier en juge constitutionnel supérieur du Conseil constitutionnel. En toute hypothèse, il oublie (pour poursuivre dans la modération) la suite de l’article 5, disposant qu’«il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics».
Ces trois erreurs relèvent donc d’une absence de lecture de la Constitution, ou, à tout le moins, d’une lecture des plus contestables de cette dernière. Elles sont donc fort regrettables de la part de la plus haute autorité politique de l’Etat, qui devrait la respecter et en inspirer le respect. Le plus probable reste cependant qu’elles demeurent sans suite grave du point de vue de l’Etat de droit. Si bienveillant soit-il à l’égard de son requérant, on imaginait mal le premier président de la Cour de cassation proposer d’ignorer ou de violer la décision du Conseil constitutionnel. Il s’y est d’ailleurs refusé.
Où l’on en vient à la faute, lourde de tous les dangers. Elle réside dans les justifications apportées par le président de la République lui-même à sa démarche sans précédent. A savoir, le refus de laisser en liberté «des monstres», parce que «le devoir de précaution s’applique pour la nature. Il doit s’appliquer pour les victimes». Voici les grands mots lâchés, qui ne peuvent que susciter l’adhésion immédiate dans notre vidéocratie compassionnelle. «Monstres», «victimes», «précaution». Qui peut souhaiter de nouvelles monstruosités ? Qui peut accepter de nouvelles victimes ? Qui peut leur refuser toute précaution ?
Sauf que ce raisonnement correspond exactement à celui qui fut tenu des siècles durant pour justifier les pires supplices en place publique. Celui qui fut tenu, et l’est encore en certains pays, pour justifier le maintien de la peine de mort. Celui qui fut tenu, et l’est encore par certains gouvernements, pour justifier la torture à l’encontre de terroristes ou supposés tels. Placer un devoir de précaution au-dessus des principes constitutionnels, et le souci des victimes au-dessus de la non-rétroactivité de la loi pénale plus dure, c’est rompre avec plus de deux siècles de droit pénal civilisé. Voilà pourquoi il paraît légitime, par-delà toute préférence politique, d’y voir une triste combinaison entre le populisme pénal qui a dicté l’adoption d’une telle loi et le populisme constitutionnel qui veut l’appliquer par-delà les principes supérieurs de notre droit.
Jean-Michel Vernochet, ancien journaliste du Figaro, analyse les enjeux de l’indépendance du Kosovo et développe les arguments des opposants à la sécession de la population albanophone. Il considère que celle-ci a été voulue et organisée de longue date par les USA qui souhaitaient disposer d’un point d’appui pour leurs forces armées qui soit proche de la mer Noire et de ses oléoducs, ainsi que de la Mer Caspienne, enjeu géostratégique majeur. Video et extraits.
Entretien avec Jean-Michel Vernochet, mis en ligne le 20 février
extraits
A partir de 1997, les américains vont soutenir, vont équiper, vont organiser l’UCK. C’est un secret de polichinelle. (…) En Bosnie, les américains ont permis le transfert de certains jihadistes en provenance d’Afghanistan, qui sont venus prêter main forte aux islamistes bosniaques. Autant l’Islam était modéré en Bosnie et au Kosovo, autant l’Islam s’est radicalisé depuis le milieu des années 1990. il n’y avait pas seulement les américains, mais aussi les alliés des américains qui envoyaient des combattants, les turcs, les saoudiens. Ils envoyaient à la fois des combattants et des fonds. Il y avait aussi des iraniens qui ont prêté main forte.
Les américains ont soutenu l’UCK car ils voulaient s’implanter durablement dans la région, comme ils l’ont fait en Afghanistan.
Il y a un corridor énergétique, essentiellement des oléoducs, qui doivent partir de la Bulgarie, sur la mer Noire, pour aboutir en Méditerranée en Albanie. Donc il faut sécuriser cette région.
Il faut à la fois surveiller ce couloir énergétique essentiel. Ce couloir, d’où vient-il ? Du bassin de la mer Caspienne. Avec cette base arrière avancée, les américains pourront contrôler l’espace aérien du bassin de la Caspienne.
Le Kosovo « Etat Mafieux, » ce n’est pas une formule journalistique, c’est une réalité. L’Albanie, le Kosovo, posent de lourds problèmes de sécurité à l’échelle européenne.
L’Afghanistan produisait 180 tonnes d’opium en 2001, 8200 tonnes aujourd’hui. La plus grosse filière passe à travers l’Iran, la Turquie, l’Albanie et le Kosovo.
Ce sujet n’est pas abordé par la grande presse, mais il est réel, documenté.
La sagesse était de reconnaître l’intangibilité des frontières. Nous avons subverti cette règle, nous avons introduit le chaos dans les relations internationales.
Dans le cas du Kosovo c’est bien, dans le cas de la Corse cela serait mal. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un raisonnement qui puisse tenir très longtemps.
On découvre avec l’indépendance du Kosovo l’existence de la base américaine Bondsteel. C’est une véritable ville de 25 mille hommes.
A l’intérieur du camp, il y a un autre camp qui a été qualifié – peut être de manière un peu polémique – de Guantanamo kosovar.